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TRIBUNE - Les dessous du mercato des directeurs de sites médico-sociaux
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Les directeurs d’établissements pour personnes en situation de handicap sont-ils des moutons à cinq pattes ? Ils doivent en tout cas avoir plusieurs têtes pour diriger des structures de plus en plus dispersées et hétérogènes...
« Votre profil a attiré mon attention, notamment parce que vous êtes actuellement directeur multisites. N’est-il pas temps pour vous de relever un nouveau challenge ? J’ai un poste de directeur de deux IME à pourvoir ainsi qu’un poste de directeur d’un FAM et d’un SAMSAH ».
« Votre profil a retenu mon attention. En effet nous recherchons pour une association spécialisée dans le secteur médico-social (3000 salariés) un directeur de pôle (4 établissements et un dispositif réparti sur 3 sites (SAMSAH, ESAT hors les murs, plateforme emploi accompagné) »
Des offres de ce type, j’en reçois quasiment toutes les semaines sur les réseaux sociaux de la part des cabinets de recrutement. Directeur de pôle, directeur multisites, directeur de territoire, directeur de secteur, autant de dénominations qui témoignent à la fois de l’évolution de la fonction de direction d’établissement médico-social et de l’hétérogénéité de sa définition et de son exercice selon les organismes gestionnaires.
Directeur multi-établissements : la nouvelle norme
Le modèle du directeur mono-établissement « touche à tout » - qui gère aussi bien l’entretien des locaux, des installations et des véhicules que le management des équipes, en passant par la gestion du budget, les relations avec les partenaires et les projets personnalisés des personnes accompagnées – est en pleine transformation, pour ne pas dire en voie de disparition [1]. Diriger deux, voire trois ou quatre établissements et services semble aujourd’hui devenu la norme.
Travailleur social de formation initiale, puis chef de service, directeur adjoint et directeur cafdesien depuis un peu plus de douze ans je suis impressionné par la montée en charge des tâches et responsabilités attachées aux fonctions que j’occupe avec un sentiment accru au fils des ans de perte de sens et de devoir faire le grand écart entre le « cœur du métier » - l’accompagnement des personnes – et la gestion administrative, logistique et financière, sans oublier la communication, la conduite de projets, les partenariats, le dialogue social, les réglementations (QVT, RGPD, RSE, plans bleus, DUERP, etc.).
Sous l’impulsion des politiques publiques le processus de réduction des déficits de l’assurance maladie et des conseils départementaux, principaux financeurs du secteur médico-social du handicap, s’accompagne d’une logique d’optimisation et de rationalisation des ressources [2]. Les associations gestionnaires liées par des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens avec leurs financeurs sont « condamnées » à grossir ou à disparaitre. Les opérations de fusion-acquisition bien connues dans le monde des entreprises se sont développées dans le secteur médico-social.
Toujours plus de responsabilités, toujours moins de relations humaines
Les associations gestionnaires visent ainsi le développement de leurs activités, l’optimisation et l’accroissement de leurs ressources. Il n’est plus tabou aujourd’hui de considérer les associations gestionnaires, y compris les associations à but non lucratif, comme de véritables entreprises. Une association de taille moyenne gère aujourd’hui une quinzaine d’établissements et service, emploie environ 500 à 600 salariés et accompagne autant de personnes, enfants et/ou adultes. Les associations plus importantes peuvent gérer entre 30 ou 50 établissements et rayonnent à l’échelle nationale.
La logique de transformation à l’œuvre s'accompagne d’une évolution du régime des autorisations, de la tarification mais aussi de l'évaluation au point que nous pouvons nous demander si nous n’assistons pas à la mise au pas des activités du secteur médico-social par les pouvoirs publics au détriment de toute marge de manœuvre stratégique pour les organismes gestionnaires.
Dans ce contexte d’évolution du modèle économique, juridique et culturel, les postes de direction ont été optimisés. Les salaires des directeurs sont ainsi imputés sur les différents budgets des établissements qu’ils dirigent [3]. Leur périmètre d’intervention s’est considérablement accru ainsi que celui de leurs responsabilités au détriment de la relation humaine avec les personnes accompagnées et les équipes..
Cette situation soulève la question des organisations de travail des équipes de direction ainsi que celle des délégations et je reste toujours très surpris de l’hétérogénéité des modèles rencontrés. Par exemple, dans mon poste actuel je dirige un IEM de 120 places, avec hébergement, et un SESSAD de 55 places, répartis sur deux sites distants de 5 kms, et employant environ 130 salariés. Je m’appuie sur une équipe de direction composée de deux directrices adjointes, deux chefs de service éducatif, un chef de service paramédical et un chef des services techniques. Cela est plutôt « très confortable ».
Du spleen au burn out
Une récente offre me propose un poste de direction de secteur portant sur 4 établissements (IEM) et un SESSAD répartis sur 3 sites, distants de 60 kms. L’équipe de direction est composée de 3 chefs de service éducatifs et d’un chef de service paramédical mutualisé entre les établissements du secteur enfant et ceux du secteur adulte gérés par la même association. Cela ne me parait pas à priori très favorable.
Ce modèle de direction est-il de nature à pouvoir répondre aux attentes des équipes, des personnes accompagnées et de leurs familles qui recherchent un interlocuteur de proximité qui prend en compte leurs contraintes et leurs besoins tout en leur apportant des réponses appropriées ? Si la direction multisites limite de fait le temps disponible pour les personnes accompagnées, leurs familles et leurs accompagnants, les attentes et commandes des organismes gestionnaires à ce sujet ne semblent pas toujours en tenir compte.
Certains acteurs, sans dénier la dimension systémique de la problématique, soulignent que c’est aussi une affaire de posture qui repose sur la capacité individuelle de la personne à habiter la fonction de directeur et la concilier avec le management et le cœur de métier. Il est notable en effet que les cabinets de recrutement s’appuient sur des batteries de tests de personnalité [4] qui visent à évaluer la motivation, l’empathie, la résistance au stress, la confiance en soi, la flexibilité, l’assertivité, la capacité à gérer les conflits, etc. du directeur. Plus globalement les recruteurs recherchent des personnes capables de gérer la complexité des organisations dans la durée et ce dans un contexte en pleine mutation et de plus en plus complexe.
C’est en ce sens que je parle de mouton à 5 pattes. Le directeur cafdesien issu de la loi 2002-2 [5] est progressivement remplacé par des dirigeants d’entreprise formés notamment via le master MOSS [6]. Comme le souligne Jean René LOUBAT [7] « un certain nombre de directeurs ne cachent plus leur malaise, flirtent avec le spleen, voire un franc burn out… ».