Lisiane Fricotté, auteur du guide « Droit des personnes handicapées » 2016

Titre : Le guide « Droit des personnes handicapées » vise à la fois à décrypter et à anticiper

Quelle est la vocation de ce guide sur le « Droit des personnes handicapées », dont vient de paraître une nouvelle édition ?

Organisé de façon très pratique, il doit faciliter la vie quotidienne des personnes en situation de handicap et de leurs familles et leur permettre, ainsi qu’aux décideurs, aux institutions, aux travailleurs sociaux… , de s’y retrouver dans ce dédale législatif et réglementaire. A la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, qui constitue le cadre juridique, sont venus s’ajouter de multiples textes, pour la compléter, la modifier… Il s’agit de décrypter et de rendre lisibles ces dispositifs mouvants, très évolutifs, et d’être simple, sans être simpliste. Enfin, il faut avoir une approche transversale. La question de l’accessibilité, par exemple, ne concerne pas seulement les établissements recevant du public ou les transports, mais aussi les lieux de travail. La question de la discrimination est, elle aussi, tout à fait transversale.

Comment procédez-vous pour offrir chaque année le guide le plus actualisé possible ?

En premier lieu, évidemment, j’assure une veille sur les textes qui paraissent tout au long de l’année. Mais pas seulement. Je m’intéresse aussi à ceux qui sont en préparation. Par exemple, dans l’édition 2016, je signale la réforme de l’inaptitude contenue dans le projet de loi « travail », actuellement si débattu. Il s’agit donc de décrypter ce qui existe, mais aussi d’anticiper, pour que les lecteurs puissent être en alerte sur ce qui est susceptible de changer et ne passent pas à côté d’un dispositif qui pourrait se concrétiser dans l’année.

Quelles sont les principales évolutions dans cette nouvelle édition ?

La loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement, la loi sur la modernisation de notre système de santé – avec la mise en place d’un dispositif de « double orientation » pour les personnes handicapées-, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 – avec la mise en place de la protection universelle maladie -, l’ordonnance suivie de la loi sur l’accessibilité et la mise en place des agendas d’accessibilité programmée (Ad’AP) ont entraîné des modifications dans de nombreux chapitres. Des aménagements en matière de scolarisation sont également intervenus.

De votre point de vue, quel est le domaine où les droits des personnes en situation de handicap ont le plus progressé depuis 2005 ?

Sans aucun doute, même si on peut mettre quelques nuances, celui de la scolarisation. Depuis 2006, le nombre d’enfants scolarisés en milieu ordinaire a doublé. Dans cette édition 2016 est ainsi abordée la mise en place des ULIS (unités localisées pour l’inclusion scolaire), qui concernent désormais à la fois les écoles, les collèges et les lycées. Autre point positif pour les élèves handicapés, le guide d’évaluation des besoins de compensation en matière de scolarisation (GEVA-sco) -outil important pour harmoniser l’évaluation des besoins, qui conditionne l’attribution des aides–est paru au Journal officiel, ce qui l’a rendu opposable aux professionnels des maisons départementales des personnes handicapées. Parmi les autres avancées en matière de scolarisation, la reconnaissance professionnelle des personnes qui accompagnent les élèves en situation de handicap, comme l’a encore réaffirmé la conférence nationale du handicap du 19 mai. Toutes ces évolutions sont vraiment positives, les associations le reconnaissent également. Mais il n’en va pas de même dans tous les domaines…

Où se situe, selon vous, le point noir de l’application de la loi de 2005 ?

C’est incontestablement l’accessibilité. On a fait le constat que les échéances fixées en matière de mise en accessibilité ne pouvaient pas être tenues, et on a créé les fameux Ad’AP. Mais ceux-ci, si on cumule tous les reports rendus possibles, peuvent revenir à reculer ces échéances de dix ans. Ma crainte est que ces reports ne constituent en réalité une forme d’enterrement de cette obligation…

D’une façon générale, sur quels points faut-il être vigilant ?

Les délais de traitement des demandes dans les MDPH et les commissions des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) varient beaucoup d’un territoire à l’autre. Ils sont en principe de 4 mois mais peuvent être beaucoup plus long pour la prestation de compensation du handicap. Pour les cartes, cela peut être plus rapide, et le projet de loi « numérique » prévoit une carte « mobilité-inclusion » pour les remplacer. Ce sera pour la prochaine édition…

D’une façon générale, il faut veiller à ce qui est acté dans une loi soit ensuite véritablement mis en pratique, avec des moyens à l’appui. Et aussi à ce que l’esprit du texte ne soit pas trahi : dans cette optique, il faudra observer particulièrement comment se met en œuvre la « double orientation ».

Dans quelle direction doit, selon vous, évoluer le droit des personnes handicapées ?

Il faut aller vers la simplification, la lisibilité, l’harmonisation… La complexité multiplie les risques de contentieux. Sans compter qu’elle peut avoir pour conséquence le non-recours aux droits.

 

Lisiane Fricotté est juriste en protection sociale et droits de l’homme, chargée d’enseignement à l’Université de Marne-la-Vallée