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"Les deux tiers des Ehpad publics sont en situation de déficit alarmant"
Il faut "repenser le modèle économique des Ehpad publics pour que chaque année ne s’achève pas sur un besoin de sauvetage d’urgence" (Anne Souyris, sénatrice écologiste de Paris).
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- EHPAD - Autonomie - Financement - Sénat
Une nouvelle journée de solidarité pour financer les Ehpad publics, un fond « vert » dédié à leur rénovation thermique, un tarif d’hébergement aligné sur l’inflation... dans un rapport présenté le 25 septembre, quatre sénateurs appellent à un nouveau modèle pour les Ehpad.
Coïncidence calendaire : à quelques jours près, l’arrivée de Paul Christophe au ministère des Solidarités et de l’Autonomie aurait pu survenir au même moment que la présentation du rapport parlementaire sur la situation des Ehpad. Un document préparé par les sénateurs Anne Souyris (Ecologistes, Paris), Chantal Deseyne (LR, Eure-et-Loire), Solanges Nadille (Renaissance, Guadeloupe) et Philippe Mouiller (LR, Deux-Sèvres).
Les quatre élus, membres de la commission des affaires sociales du Sénat y appellent à un « plan Marshall » pour les Ehpad publics. Et à un nouveau modèle de financement qui rende ces établissements moins dépendants des fluctuations de l’inflation, des cours de l’énergie et des plans de sauvetage d’urgence gouvernementaux. Entretien avec Anne Souyris, co-rapporteure.
ASH : A l'issue de l'enquête, quel bilan dressez-vous de la situation des Ehpad en France ?
Anne Souyris : Il y a de sérieuses raisons de s’inquiéter quant au modèle de ces établissements, notamment sur le plan économique. Si les Ehpad du secteur privé lucratif se portent plutôt bien, les établissements publics et ceux relevant du privé non lucratif sont confrontés à des difficultés structurelles de financement liées notamment au mode de tarification pratiqué.
Les deux tiers des Ehpad publics sont en situation de déficit alarmant avec menaces de cessation de paiement. Ces dernières années, les pouvoirs publics ont évité la catastrophe en débloquant des fonds d’urgence pour procéder à leur sauvetage financier – c’est d’ailleurs l’une des recommandations de notre rapport cette année encore –, mais le secteur ne peut pas rester en situation de crise permanente. Il y a besoin de repenser le modèle économique, pour que chaque année ne s’achève pas sur un besoin de sauvetage d’urgence. Lorsqu’un Ehpad se retrouve durablement confronté à des difficultés économiques, il lui devient difficile d’assurer le bien-être de ses résidents.
Le modèle économique des Ehpad est-il encore adapté aux enjeux actuels ?
La question de leur mode de financement mérite d’être reposée. Aujourd’hui, les effets conjugués de l’inflation et des tarifs de l’énergie ont fait augmenter les coûts de fonctionnement de 30 %. Le secteur privé peut reporter ces hausses tarifaires sur le reste à charge facturé aux patients et à leurs familles. Mais le public, lui, n’en a pas le droit. Si l’Etat n’intervient pas, les directions de ces Ehpad se retrouvent sans solution, obligées de laisser filer le déficit, mais jusqu’à quand ?
De plus, alors que l’image des Ehpad a déjà bien été écornée par la sortie du livre Les Fossoyeurs de Victor Castanet, la situation actuelle ne risque pas de redorer leur blason auprès de l’opinion. Son enquête avait beau ne concerner que les établissements du réseau Orpéa, le grand public à tendance à ranger tous les Ehpad dans le même sac.
Si on ajoute à cela les restrictions qu’ont dû mettre en place les établissements durant la période pandémique, la confiance des Français envers les Ehpad s’est sérieusement dégradée. En conséquence, leur taux d’occupation n’est plus actuellement que de 80 % au lieu de 97 % avant 2020.
Quelles conséquences sur la pénurie de main-d’œuvre que connaissent ces établissements ?
Il est difficile de quantifier exactement le phénomène, mais les remontées de terrain vont toutes dans le même sens. Les salariés des Ehpad n’ont plus envie d’y travailler à cause de l’image de maltraitance qui leur colle à la peau depuis la Covid et le livre de Victor Castanet.
Confrontées à un sous-effectif chronique, les directions n’ont pas d’autre choix que de recourir à l’intérim, grèvant encore plus leurs finances. Et la situation est encore aggravée par la concurrence que se livrent les établissements entre eux. Particulièrement ceux du privé lucratif qui, par des politiques de salaires plus élevés, peuvent débaucher les professionnels du secteur public. Sur certains territoires, les conséquences sont catastrophiques.
Les Ehpad souffrent-ils aussi d’un sous-investissement des pouvoirs publics ?
C’est effectivement ce que l’on constate. Ce qui ne va pas sans créer des inégalités entre territoires. A Paris, le taux d’occupation des établissements dépasse encore les 95 % car les investissements publics sont au rendez-vous, mais c’est loin d’être le cas partout.
Dans certains départements, ce sous-investissement se traduit notamment par un sous-effectif chronique, qui met en danger la survie de certains Ehpad. C’est dans les DROM ou en Corse que les situations les plus critiques sont observées. L’offre publique y est extrêmement faible et les tarifs du privé lucratif y sont en conséquence particulièrement élevés !
Nous rencontrons également un vrai problème d’adaptation des établissements au réchauffement climatique. De nombreux Ehpad sont de véritables passoires thermiques et lors des grandes vagues de chaleur, c’est la vie même des résidents qui y est parfois en danger !
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Quelles préconisations contient votre rapport ?
Evidemment, ce qui nous préoccupe en premier lieu, c’est la mise en place d’un sauvetage urgent des Ehpad pour empêcher que certains ne se retrouvent en cessation de paiement. Nous appelons donc au déblocage d’ici à la fin de l’année d’une enveloppe de 100 millions d’euros pour empêcher des fermetures d’établissements. Nous réclamons aussi la mise en place de commissions départementales pour assurer le suivi de ces dépenses.
Mais au-delà de cette réponse immédiate à la crise, il faut dégager des pistes de financement pérennes et nous présentons plusieurs propositions à ce sujet. En premier lieu, il faut tendre à une convergence nationale des points GIR pour casser les inégalités territoriales.
Il nous apparaît également opportun de généraliser un tarif global d’hébergement aligné sur l’inflation, afin que les Ehpad puissent dégager quelques marges de manœuvre financière.
Nous recommandons aussi la création d’une foncière nationale destinée à gérer les projets de construction d’Ehpad publics. Ou encore la mise en place d’un fond « vert » dédié au financement de la rénovation thermique des bâtiments ainsi qu’au réaménagement des espaces, pour assurer à chaque résident une chambre personnelle d’au moins 26m2.
Car un Ehpad doit être un lieu de vie et pas seulement de fin de vie. Sur la façon de financer ce fonds, en revanche, les membres de la commission ont divergé. J’avais suggéré un relèvement de 0,1 % de la CSG. Sur un salaire au Smic, cela ne représente que 2 € par mois, ce qui ne me paraît pas excessif.
Mes confrères sénateurs ont préféré la création d’une nouvelle journée de solidarité sur le modèle de celle mise en place en 2004. Je n’y étais pas favorable : cela ne relève pas d’une logique suffisamment redistributive à mes yeux. Et surtout, la première initiative de ce type n’a pas toujours été acceptée par les organisations syndicales. Mais je n’ai pas été suivie sur ce coup-là.
Que préconise le rapport en matière d’attractivité des métiers ?
Etant donné les inégalités salariales entre les trois types d’établissements, nous recommandons la mise en place de conditions d’accès égalitaires en termes de rémunération entre les différents Ehpad, qu’ils soient publics ou qu’ils relèvent du secteur privé lucratif ou de l’associatif non lucratif.
Cela pourrait également passer par la reconnaissance de certaines professions comme celle d’infirmier coordinateur. J’avais préconisé pour ma part que les établissements puissent embaucher des candidats étrangers et parfaire leur formation pour compenser les besoins de main-d’œuvre. Mais là encore, la majorité des membres de la commission n’a pas retenu cette idée.
Il n’en reste pas moins que nous sommes tombés d’accord sur l’instauration d’un ratio minimal de 8 salariés – dont 6 dans des fonctions dites « au chevet du patient » – pour 10 résidents, afin que l’établissement fonctionne de manière à limiter au maximum les situations de maltraitance.
Le budget que prépare le gouvernement s’annonce serré et placé sous haute surveillance de l'Europe pour respecter le déficit autorisé. Comment concilier ces injonctions avec le besoin d’investissements publics ?
D’autres pays européens étaient dans la même situation financière et ont pourtant fait ce choix. Il ne s’agit pas de grever le budget de l’Etat, mais de dégager les financements nécessaires à une politique ambitieuse pour le grand âge. Michel Barnier a d’ailleurs déclaré qu’il n’excluait pas des augmentations d’impôts. Mon idée de consacrer une fraction de la CSG aux Ehpad pourrait rapporter 1,7 milliard par an sans surcoûts excessifs pour les citoyens. Nous sommes face à un choix civilisationnel. Si nous ne sommes pas capables collectivement d’être solidaires, cela en dit long sur notre société.
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