Handicap : pour la libre installation des Français en Belgique

Crédit photo Fred Dufour - AFP - TRIBUNE - Sans solution en France, certains parents d’enfants handicapés choisissent de partir en Belgique. Isabelle Resplendino, Franco-Belge et mère d’un enfant autiste, s’est engagée dans la défense de ces familles et nous fait partager leur parcours chaotique.

« Lorsque j’ai vu les progrès réalisés par mon fils dans l’enseignement spécialisé puis intégré en Belgique, je me suis engagée à la fois dans l’associatif belge et français pour tenter de redistribuer la chance que ma famille a reçue.

Personne ressource pour les associations et les responsables politiques des deux pays, de par mon implantation en Belgique et ma connaissance des deux systèmes, la nécessité d’une association représentative dédiée aux Français et sous législation belge m’est assez rapidement apparue.

J’ai donc fondé, en 2017, l’Association pour les Français en situation de handicap en Belgique (Afresheb ASBL) que je préside encore aujourd’hui.

L’association a pour objectif de défendre les intérêts des Français en situation de handicap en Belgique et leurs familles, de les informer et de les représenter dans les groupes de travail officiels, belges et français, auprès des institutions de défense des droits locales, régionales, nationales et internationales, des ministères, administrations et autres organismes.

Aujourd’hui, environ 7 500 adultes et 1 500 enfants français sont hébergés dans des établissements belges conventionnés avec la France et/ou des départements français. 1 000 petits transfrontaliers font l’aller-retour tous les jours entre leur domicile et l’enseignement spécialisé belge, et 500 sont hébergés dans les internats publics scolaires spécialisés. Ce sont donc plus de 10 000 familles françaises qui sont concernées par cette réalité.

Ce n’est pas seulement le manque de places en France qui est à l’origine de cette mobilité, mais aussi un savoir-faire différent, plus porté sur l’éducatif et le potentiel des personnes, moins médical.

Il existe aussi beaucoup moins de complications administratives pour ouvrir un établissement en Belgique. Et le retard est si grand dans un département comme la Seine-Saint-Denis que, même si le département triplait son offre, en cinq ans, il arriverait tout juste à répondre à l’évolution démographique de la population en âge d’être bénéficiaire, sans combler son retard.

Nombre d’associations françaises gestionnaires ont souvent dénoncé cet “exil”. En février 2021, le gouvernement français a décidé d’un moratoire des places pour les adultes français en Belgique, les limitant aux places alors occupées.

Il s’ensuit un double étranglement :

• le turn-over naturel de libération de places dans ces établissements est de 200 par an. Dans le même temps, ce sont 550 demandes qui arrivent. Autrement dit, 350 familles “restent sur le carreau” ;

• les adultes français se voient imposer de rester en établissement pour enfants en France, selon les termes de l’“amendement Creton”, laissant les enfants qui doivent entrer dans ces structures sans solution.

Logiquement, et tant que les solutions équivalentes ne seront pas apportées en France, l’Afresheb demande la suspension de ce moratoire.

Plus de contrôles en Belgique

Au titre de ma double casquette franco-belge, j’ai représenté les usagers lors de l’arrêté wallon de 2018 rehaussant drastiquement les normes des établissements accueillant les Français. Je les ai aussi représenté lors du référentiel qualité de l’Agence pour une vie de qualité (Aviq), qui délivre l’autorisation d’ouverture aux établissements accueillant des personnes étrangères et qui subventionne les établissements pour les Belges.

Aujourd’hui, les normes, les mesures et la fréquence des contrôles des établissements belges sont bien plus élevées que celles des établissements français, loin des dérives “d’usines à Français” que la Wallonie a connues.

Il reste des établissements dysfonctionnels, notamment des établissements “pirates”, sans autorisation d’ouverture, ni agrément, accueillant une population belge et parfois française paupérisée, souvent souffrant de handicap psychique et/ou d’addictions. Là encore, l’Aviq travaille à établir des normes.

En 2016, le gouvernement français avait établi un moratoire pour les enfants, lui aussi se limitant aux places occupées dans les établissements médico-sociaux (instituts médico-pédagogiques). Mais les enfants ont d’autres solutions : la scolarisation spécialisée sans hébergement, ou bien avec un hébergement dans un internat scolaire spécialisé.

Régulièrement, les familles nous font part de tracas administratifs inadmissibles (et illégaux) :

• refus d’orientation en Belgique des maisons départementales des personnes handicapées, des caisses primaires d’assurance maladie de prendre en charge les frais de transport pour les élèves frontaliers et internes ou les frais d’hébergement dans les internats scolaires spécialisés publics ;

• difficultés kafkaïennes concernant le renouvellement des papiers d’identité, le droit de vote, le remboursement des médicaments et des prestations médicales/paramédicales hors établissements, le vide juridique entourant les personnes concernées qui ne sont ni vraiment résidentes françaises, ni officiellement résidentes belges – la création d’un statut particulier est nécessaire, nous le réclamons depuis des années.

L’Afresheb aide donc les familles à se défaire de ces situations, et doit parfois aller jusqu’à les épauler dans des procédures juridiques.

Nous demandons aussi qu’un accord transfrontalier pour le handicap soit conclu avec les Hauts-de-France et le Grand Est, au bénéfice des Français et des Belges partageant le même bassin de vie. Il en existe bien pour la santé, les services d’urgence, la police… et cela ne pose pas pour autant de problèmes d’ordre éthique.

Le problème éthique, c’est lorsque :

• un enfant ou un adulte autiste est mis à l’isolement, sous contention, sous camisole chimique dans un hôpital psychiatrique pendant des mois, des années, et qu’on lui refuse l’orientation dans un établissement belge adapté ;

• des enseignants spécialisés belges doivent apprendre à un enfant à se nourrir autrement qu’en lapant son assiette comme un animal, car il a eu les mains attachées dans le dos pendant des années, même lors de la prise de repas ;

• on laisse une famille au bord du suicide collectif et qu’on lui refuse l’orientation dans un établissement belge alors que les délais d’attente sur les listes en France se comptent en années, voire en décennies ;

• on n’offre qu’une inclusion à l’économie, qui ne suffit pas pour les pathologies complexes qu’on accueille en Belgique et qui met en souffrance une école, des parents, une société… ;

• on prend les Français en situation de handicap en Belgique pour des pots de fleurs qu’on rapatrie contre leur avis et celui de leurs familles dans des établissements inadaptés français après des décennies passées en Belgique ;

• ils y meurent parce que l’établissement dans lequel ils ont été rapatriés n’est pas équipé à différents niveaux pour les gastrotomies, les sondes, la nourriture mixée ;

• la personne survit et qu’on la ramène dans son établissement belge, et qu’elle décède en quelques mois du syndrome de glissement ;

• l’établissement n’est pas non plus équipé pour anticiper et gérer les troubles graves du comportement et qu’il transforme à coup de médicaments la personne en zombie, incapable de tenir assise sur une chaise ;

• on ne demande pas l’avis des usagers, des familles, de leurs véritables représentants, experts du terrain, pour prendre des décisions qui impactent directement et parfois dramatiquement leur vie. »

Pour aller plus loin : debat.ash@info6tm.com

Auteur : ISABELLE RESPLENDINO