Handicap : « On appelle à l’acte II de l’école inclusive »

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Député LR du Rhône, Alexandre Portier, est l’un des deux artisans d’un rapport consacré à l’instruction des enfants en situation de handicap, mené au nom de la délégation aux droits des enfants de l’Assemblée nationale. S’il pense que la France a fait des « progrès » en termes de scolarisation, il estime pourtant que « nous n’avons pas clarifié ce qu’on attend de l’école inclusive ».

Alors que le gouvernement se félicite de compter 430 000 enfants en situation de handicap à l’école, ils sont en réalité nombreux à n’être scolarisés qu’une à deux heures par semaine. Sans parler du grand flou statistique concernant tous ceux qui restent sans solution. Alexandre Portier, député LR et co-auteur d’un récent rapport sur l’école inclusive, revient sur ces difficultés administratives et scolaires.

ASH : Le modèle de l’école inclusive à la française est-il encore le bon ?

Alexandre Portier : Les familles sont souvent extrêmement seules, désemparées, face à un véritable mur administratif. Elles ne comprennent pas le fonctionnement de la politique de l’école inclusive : dispersion des acteurs, acronymes à tout bout de champ, dossiers qui font des pages et des pages et que personne ne comprend, délais très longs… Ces procédures sont trop lourdes, pour les familles comme pour les administrations. D’autant que les mêmes documents doivent être remplis chaque année, ce qui peut être psychologiquement très difficile… Si la loi dit qu’on doit traiter un dossier en 4 mois, en pratique la plupart des départements mettent plutôt entre 6 et 8 mois. Et lorsqu’on demande du matériel pédagogique adapté, ces délais s’élèvent à un an ou même deux. Nous avons un système d’une grande rigidité. Il faut redonner la main au terrain : on ne peut pas gérer ces questions depuis la rue de Grenelle. Je pense que c’est ce que souhaitait faire le ministère avec les pôles inclusifs d’accompagnement localisés (Pial), mais ils sont insuffisants.

Vous trouvez le système trop centralisé ?

Je vais vous donner l’exemple des inspecteurs chargés des AESH (accompagnants d’élèves en situation de handicap). Ils sont 150 pour tout le pays, ce qui fait moins de deux inspecteurs par département. Quand vous avez 430 000 enfants, vous ne pouvez pas assurer un suivi fin de la situation individuelle et donc une capacité à impulser une politique efficace auprès des établissements. Ces procédures très rigides n’arrivent pas à s’adapter aux handicaps singuliers de chaque enfant. Aujourd’hui, nous sommes dans un entre-deux qui mélange les prérogatives des départements et celles de l’Etat, avec toutes les lourdeurs que cela implique. L’inadéquation est flagrante quand, par exemple, des académies ne mettent pas d’AESH en cours d’année, sous prétexte que les budgets ont été votés en début d’année. On laisse ainsi des gosses sur le carreau pendant des mois. Dans un système où le chef d’établissement aurait la latitude pour adapter, former et recruter, nous ne rencontrerions pas ces difficultés. Et cela crée une vraie inégalité entre les enfants.

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Comment expliquer l’absence de statistiques uniformes ?

C’est là qu’on voit la défaillance de l’Etat qui veut s’occuper de tout mais qui ne s’en donne pas les moyens. J’ai une lecture qui est très sévère de la manière dont on mène l’école inclusive, je pense que ce n’est ni le ministère de l’Education, ni le ministère des Solidarités qui ont le dernier mot, sinon Bercy. Si on a poussé vers le tout inclusif ces dernières années, ce n’est pas pour répondre aux attentes des parents, mais pour réaliser des économies sur la politique du handicap. Quand vous comparez le coût d’un élève à l’Education nationale et celui d’un élève pris en charge dans une structure spécialisée, vous comprenez pourquoi… Une place en IME (institut médico-éducatif) c’est 40 000 € à l’année, à l’Education nationale c'est 1 900 € en moyenne. Il faut sortir de l’hypocrisie. Les familles sont profondément abîmées lorsque l’école inclusive ne fonctionne pas. Dans 9 cas sur 10, des femmes seules portent la scolarisation de leurs enfants à bout de bras, elles sont en plein burn-out et obligées de vivre d’aides sociales. On doit se donner les moyens de prendre en charge ceux qui en ont besoin et arrêter de vouloir faire des économies sur le dos des familles.

Vous pointez également un déficit de formation…

On a fait croire que parce qu’on met un cartable sur le dos des enfants cela suffit à faire scolarisation. Il y a un problème au niveau des bâtiments, sur le plan des AESH et en matière de formation en général. A tous points de vue, cela ne fonctionne pas. A quel moment, dans la formation des enseignants du premier et de second degrés, a-t-on une vraie stratégie d’objectifs, d’évaluation et de continuité pédagogique sur l’ensemble du cursus ? Les enseignants de primaire, par exemple, bénéficient de 25 heures de formation. C’est une avancée, mais avec trois ou quatre enfants en situation de handicap dans une classe, tous avec des troubles différents, ce quota ne peut pas répondre à toutes les questions. Sans parler du second degré, qui n’a aucune heure de formation. Le collège est souvent une lame de fond assez brutale, notamment parce qu’il n’y a pas assez de dispositifs Ulis (unité localisée pour l’inclusion scolaire), pas assez de passerelles entre l’école et le médico-social. Il faut se mettre d’accord sur ce qu’on attend de cette école inclusive : que tous les enfants aient répondu aux mêmes critères de performance scolaire ? Ce n’est pas forcément l’alpha et l’oméga de l’apprentissage. Toutes les difficultés de l’école inclusive sont en réalité celles de l’école tout court.

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Comment faire évoluer les postes d’AESH ?

Au cours de nos auditions, nous avons entendu des choses très contrastées : certains nous disaient qu’il fallait tous les titulariser, en faire un corps de la fonction publique à part entière, et d’autres, à l’inverse, nous ont dit qu’il fallait arrêter les AESH. La vérité est sans doute entre les deux. On ne peut pas faire de l’inclusion scolaire, sans accompagnement humain. En revanche, ce modèle ne fonctionne pas. Quand on regarde la façon dont elles sont rémunérées, formées et affectées, c’est un massacre à tous points de vue. C’est quand même le seul métier où vous avez 60 heures de formation après avoir été recruté. Si on veut que les AESH soient reconnues, pour en faire un vrai métier avec des compétences valorisées, il faut une solide formation en amont.

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Parmi les 35 recommandations de votre rapport, vous pointez le besoin de croiser les regards des professionnels ?

Nous avons été parfois dans un mariage forcé entre le scolaire et le médico-social. Ce dernier aurait préféré qu’on écoute ses singularités, qu’on valorise son savoir-faire et qu’on lui donne les moyens. L’école, de son côté, a malheureusement déjà beaucoup de difficultés avec des enseignants sous-payés, mal considérés et des classes surchargées. Quand vous avez deux secteurs en difficultés qui se sentent incompris, si vous les mettez ensemble, ça ne peut pas produire de solutions. Il faut arriver à intégrer le médico-social dans le scolaire et arrêter de les opposer. Profitons, par exemple, d’enregistrer une baisse de la démographie scolaire avec de nombreux locaux vacants et délocalisons certains dispositifs médico-sociaux dans l’école en y installant des professionnels.

Vous vous êtes inspirés du modèle anglais pour réfléchir à une simplification des démarches administratives. C’est-à-dire ?

Ce pays est beaucoup plus décentralisé et donc beaucoup plus réactif que le nôtre. Je ne dis pas qu’il faut tout copier sur l’Angleterre, mais sa philosophie est intéressante : là-bas, c’est le chef d’établissement qui est comptable de la mise en œuvre de la politique du handicap dans son école, dans son collège ou dans son lycée. Il a l’obligation d’accueillir et de dimensionner les moyens qui lui sont affectés par le national. C’est lui qui recrute l’équivalent de nos AESH. Et quand le handicap d’un élève évolue, il lui faut à peine un mois pour adapter la solution. Nous devons en outre simplifier nos procédures, notamment en transformant les notifications MDPH (maison départementale des personnes handicapées). Elles ne doivent plus être calées sur une année, sinon sur un cycle scolaire. Ce serait un avantage pour l’administration qui, en libérant du temps, remettrait de l’humain, de l’accompagnement et des explications auprès de l’usager.

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