Esat : se transformer ou disparaître

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TRIBUNE - Présenté comme novateur par les pouvoirs publics, le plan de transformation à l’œuvre dans les Esat inquiète le fondateur d’Andicat, Gérard Zribi. Malgré quelques éléments positifs, il déplore sa tendance bureaucratique, sa faiblesse juridique et son caractère flou.

« Décidée récemment, configurée par une circulaire du 11 mai 2022 et actée par un décret du 13 décembre 2022, la “transformation des Esat” est en réalité à l’ordre du jour depuis de nombreuses années. Rappelons le rapport Bloch-Lainé, en 1967, qui proposait de supprimer les CAT (aujourd’hui Esat) pour ne laisser subsister que les ateliers protégés (aujourd’hui “entreprises adaptées” ou EA), moins coûteux. On peut aussi rappeler le rapport sur le travail protégé de 1984, dont l’objectif était de favoriser les formes les plus ouvertes d’emploi – le travail semi-protégé – et, sous prétexte d’insertion, de diminuer les ressources des travailleurs handicapés en Esat. Ce qui a été fait, afin de les inciter à s’intégrer dans le milieu ordinaire de travail.

Mais ce n’est que depuis 2017 que la transformation des Esat fait partie d’un véritable plan de disparition, sous leur forme actuelle, des établissements sociaux et médico-sociaux au nom de l’inclusion en milieu ordinaire pour tous : inclusion scolaire, inclusion professionnelle, inclusion dans le logement… Et ce, quel que soit le niveau de handicap. Les pouvoirs publics ont ainsi diminué le niveau d’exonération des sommes dues par les entreprises lorsqu’elles confient des travaux de sous-traitance aux Esat et aux EA avec l’espoir – déçu – qu’elles favorisent l’emploi direct. C’est ainsi également que, malgré les besoins, la création d’instituts médico-éducatifs (IME) a régressé. Il en va de même pour les maisons d’accueil spécialisées (MAS), que l’on préfère transformer en lieux d’accueil à temps partiel ou séquentiel, au nom du “zéro sans solution”. C’est dans ce contexte général qu’un plan dit de “transformation des Esat” a vu le jour pour être appliqué dès la fin de l’année 2022. Quelles sont les principales mesures, y compris celles qui réclament des expertises supplémentaires ? Elles s’inscrivent dans deux principales orientations :

• créer une dynamique d’accompagnement à l’intérieur de l’Esat et favoriser l’inclusion en milieu ordinaire de travail ;

• instaurer de nouveaux droits pour les travailleurs handicapés.

Ainsi, il est question de renforcer les droits et le pouvoir d’agir des travailleurs handicapés : droits aux congés exceptionnels, rémunération du travail le dimanche et les jours fériés, élection d’un délégué, accès à une complémentaire santé, formation professionnelle, prime d’intéressement… Il s’agit aussi d’aménager une entrée progressive sur le marché du travail (par exemple, un mi-temps en Esat et un mi-temps en entreprise) et de prévoir un accompagnement médico-social. Mais également de favoriser une montée en compétences et l’employabilité des travailleurs handicapés.

En outre, un fonds d’accompagnement de la transformation des Esat permettrait le développement de nouvelles activités, l’adaptation de l’outil de production, le recours à des activités de conseil… Il est aussi prévu un droit au retour pour les travailleurs handicapés en échec dans le milieu ordinaire de travail ainsi qu’une inscription des Esat dans le dispositif d’emploi accompagné.

Enfin, les Esat pourront gérer annuellement les aides aux postes pour les travailleurs handicapés – ce qui est censé apporter de la souplesse à la gestion des personnels – et recruter des postes de conseillers d’insertion à la place des encadrants habituels.

Rien de très nouveau

Ce plan de transformation des Esat est présenté comme fondamental. Pourtant, de nombreuses mesures se trouvaient déjà dans différents textes, notamment le décret n° 2006-703 du 16 juin 2006, le décret n° 2007-874 du 14 mai 2007, l’arrêté du 14 mai 2007, l’arrêté du 6 juillet 2007 et surtout la circulaire n° DGAS/3B/2008-259 du 1er août 2008.

Ce n’est, en fait, qu’un rappel des obligations des Esat. Avec néanmoins quelques droits additionnels prévus par ce décret du 13 décembre 2022. Celui-ci précise, en effet, les conditions de mise en œuvre dans lesquelles les travailleurs handicapés peuvent être orientés en Esat, les droits ouverts dans le cadre du parcours renforcé en milieu ordinaire et protégé, les nouveaux droits sociaux individuels et collectifs ouverts aux travailleurs en milieu protégé.

Ainsi, la durée maximale quotidienne fixée à l’article L 3121-18 du code du travail ne pourra pas être dépassée dans la même journée. La répartition du temps de travail et des congés sera organisée d’un commun accord entre le travailleur, l’Esat et l’employeur.

Lorsque le travailleur handicapé a une activité professionnelle qui le prive de son repos dominical, il doit donner son accord et bénéficie, en plus de son repos hebdomadaire, d’un repos compensateur. Il perçoit aussi une rémunération garantie, au moins égale au double de la rémunération garantie. C’est le cas de la même façon pour les jours fériés travaillés.

Le droit à la représentation est par ailleurs étoffé par l’élection pour trois ans d’un délégué des travailleurs handicapés disposant d’heures de délégation (cinq heures par mois au maximum) ; celui-ci représente les travailleurs handicapés de l’Esat auprès de la direction sur des situations d’ordre individuel.

En ce qui concerne la formation professionnelle, les travailleurs d’Esat disposent d’un carnet de parcours et de compétences qui leur permettra d’évaluer leurs compétences lors de l’entretien annuel.

Un plan « tout inclusif »

Une instance est, par ailleurs, créée dans les Esat pour faire des propositions sur la qualité de vie au travail, l’hygiène et la sécurité, ainsi que sur l’évaluation et la prévention des risques professionnels. Elle est composée d’un nombre égal de représentants des usagers – qui siègent au conseil de la vie sociale – et de représentants des salariés.

Lorsqu’un travailleur handicapé quitte l’Esat, il bénéficie d’un accompagnement de ce dernier. A l’échéance de la convention d’appui, l’accompagnement est assuré par la plateforme départementale de l’emploi accompagné.

Ces mesures sont, au sens du code du travail, un produit “Canada Dry”. Elles présentent sérieusement le risque de générer des procédures juridiques. Elle miment le code du travail sans en être. Elles multiplient également les instances et amèneront de l’illisibilité et de la confusion.

Ce plan n’est absolument pas un rempart contre la remise en question des Esat. En effet, les Esat font partie de “l’archipel médico-social” et relèvent d’une même politique sociale qui vise l’inclusion en milieu ordinaire et la suppression des ESMS comme lieux permanents – ou de long séjour – d’éducation (les IME), de travail (les Esat), d’accueil des personnes les plus dépendantes (les MAS).

Le rapport de l’Igas de mai 2001 est tout à fait explicite : il s’agit de limiter les temps d’accueil et d’accompagnement dans les ESMS pour inclure toutes les personnes handicapées dans le milieu dit “normal”. Ce seront des emplois accompagnés ou totalement ordinaires, l’école pour tous au lieu des IME, la vie en famille avec des séjours de répit pour les plus dépendants…

C’est donc bien une politique, non pas d’accès aux droits fondamentaux grâce à une pluralité de solutions qui est mise en avant, mais de réaffirmation d’un “tout inclusif” peu réaliste. Les Esat n’en sont pas exclus. Les soutiens du plan de transformation des Esat ne doivent pas l’oublier. »

Pour aller plus loin : debat.ash@info6tm.com

Auteur : GÉRARD ZRIBI