Café & Co, un tiers-lieu inclusif qui mise sur la convivialité

Ouvert à Toulouse en novembre dernier, le tiers-lieu inclusif Café & Co entend lutter contre l’isolement des jeunes en situation de handicap sortis des institutions. L’expérimentation repose sur le collectif pour impulser une dynamique personnelle.

Crédit photo Christian Bellavia

En ce matin d’hiver, la pénombre envahit encore le hall d’un grand bâtiment du quartier résidentiel Soupetard, à Toulouse. Sur la droite, l’odeur de café invite à s’approcher. Dans la pièce attenante, les salutations s’enchaînent. Derrière le bar au plan de travail épuré, deux hommes, tout sourire, servent des boissons chaudes. L’accueil est chaleureux et les conversations vont bon train. « Nous sommes ouverts à tous ! », lance Adrien, trentenaire au tablier noir et aux cheveux teints en blond. Comme la plupart des bénévoles à Café &Co, le jeune homme est en situation de handicap.

Né en novembre dernier, ce bistrot associatif s’est donné pour mission de lutter contre l’isolement des jeunes adultes handicapés sortant de formations et d’institutions et pour lesquels l’accès à un emploi reste complexe. Pour preuve, leur taux de chômage avoisine les 30 %, contre 21 % pour l’ensemble des 15-24 ans. L’idée : les mobiliser sur des projets afin qu’ils retrouvent de la convivialité, tremplin potentiel vers une activité professionnelle. « Après plus de dix ans dans la restauration, j’ai perdu mon emploi. J’ai tenté d’en trouver un autre, mais je n’ai pu effectuer que des stages. Bien que je ne sois pas rémunéré, ici, je retrouve une place, à la manière d’un salarié », raconte Adrien qui, pour l’heure, perçoit l’allocation aux adultes handicapés (AAH).

Café &Co fait office de premier tiers-lieu inclusif en France. Selon le modèle collaboratif qui le fonde, une participation de 1 € permet aux clients d’être inscrits comme membres. En versant 30 € par an, ils deviennent adhérents et peuvent bénéficier de formations et d’activités de loisirs. Elaboré par des personnes en situation de handicap psychique ou moteur et par des travailleurs sociaux, le programme répond à des besoins repérés depuis longtemps. L’un des professionnels en question, Sébastien Calvo, est assis sur un canapé, à quelques mètres du bar. Coprésident du lieu, l’homme s’entretient avec plusieurs membres de la mission locale. « Nous ne proposons pas d’accompagnement mais du conseil, indique-t-il. L’idée n’est pas de se substituer au droit commun mais de créer du lien. Nous constituons le chaînon manquant entre la sortie d’institution et l’insertion professionnelle », indique-t-il à son interlocutrice, Audrey Boucharinc, conseillère collective à la mission locale de Toulouse.

Partenariat avec la mission locale

Au cours de la discussion, qui souligne que la réussite du dispositif dépendra des partenariats engagés avec les différents acteurs locaux, celle-ci admet : « Nos offres ne sont pas toujours adaptées car nous n’avons pas de conseillers formés aux spécificités des individus reconnus en qualité de travailleurs handicapés. » Et d’ajouter : « Nous constatons la solitude de ce public qui a parfois du mal à reconnaître qu’il a besoin d’aide. » L’échange se solde par la signature d’une convention entre les deux partenaires, actant l’animation d’ateliers collectifs au sein de Café & Co. Il s’agit de transmettre des techniques de recherche d’emploi et de partager du réseau via l’intervention de salariés de la mission locale. « Nos bureaux sont institutionnels, ils rappellent l’école. Organiser les rencontres ici s’avère d’autant plus pertinent que le lieu est rassurant pour les jeunes », pointe la conseillère.

En quittant l’institution, certains jeunes sont un peu perdus. Dans la matinée, Sylvain(1), 20 ans, atteint d’un trouble du spectre de l’autisme et recrue potentielle, est présenté à plusieurs adhérents, qui lui expliquent le fonctionnement des lieux. Au gré des interactions, la déambulation et l’anxiété font place à des interrogations concrètes sur ce que pourrait lui apporter ce nouveau dispositif. Accueillant familial spécialisé et président d’une association qui gère un chantier d’insertion, Jean-Luc Etcheverry l’accompagne. « Certaines personnes ne souhaitent pas travailler ou se retrouvent isolées dans des emplois en milieu ouvert ou protégé. Sylvain vit chez moi plusieurs jours par semaine. Je compte lui apprendre à s’y rendre de façon autonome pour qu’il rencontre des gens. Le partage peut lui permettre de faire face à certains blocages. Je suis confiant. »

Développement de compétences

Durant un an et demi, l’association ASEI (« Agir, soigner, éduquer, inclure »), qui regroupe 107 établissements, a été porteuse du projet. Régulièrement, un groupe de travail composé de jeunes gens en situation de handicap et coordonné par les professionnels a réfléchi à un dispositif le plus efficient possible en sortie d’un établissement médico-social. Le principe d’un lieu collectif où l’échange et le développement de compétences permettraient de renouer avec une vie sociale l’a emporté. « Je suis chargé d’insertion professionnelle depuis 2008. Pour certains jeunes, je ne parviens même pas à trouver des stages. Le type de handicap, le besoin d’assistance d’une tierce personne ou encore des locaux inadaptés constituent les principaux freins, témoigne Sébastien Calvo. Bien que le public soit qualifié, il lui est impossible de viser l’emploi. »

Valoriser l’investissement des bénévoles

Pour assurer au lieu un maximum de visibilité et de fréquentation, l’implantation dans une grande agglomération s’avérait nécessaire. L’installation s’est donc faite dans des bureaux vacants de la société Orange où sont hébergées une soixantaine de structures de l’économie sociale et solidaire (ESS). De quoi ouvrir vers l’extérieur et offrir des opportunités diverses. Parmi elles, l’organisation de séances de sport adaptées avec l’association Mixah, qui sociabilise des jeunes en difficulté ou handicapés. Au fil de la journée, de petits groupes de salariés profitent de l’espace pour prendre leur pause et papoter. « Nous essayons de privatiser le tiers-lieu et d’y proposer des petits déjeuners, des goûters et des réunions pour des associations ou des entreprises », précise Sébastien Calvo. La transcription au format « facile à lire et à comprendre » (Falc) de documents tels que des règlements intérieurs ou des chartes constitue un autre levier financier.

Pour l’heure, le projet relève de fonds mixtes, dont les principales subventions émanent de l’ASEI, de l’agence régionale de santé, du conseil départemental et d’appels à projets. Le coût de son fonctionnement est évalué à 100 000 € pour une année. « Nous souhaitons rapidement valoriser l’investissement des bénévoles au travers d’un défraiement. Nous espérons parvenir à les salarier quelques heures », assure le coprésident.

Trois mois après son ouverture, Café &Co compte 60 adhérents et 300 membres, dont plus de 30 bénévoles. Ateliers d’écriture, de socio-esthétique, d’informatique… sont au menu des premières formations. Agé de 25 ans, Robert De Jesus s’installe dans une salle de réunion. Il participe pour la seconde fois à l’initiation au code de la route dispensée chaque semaine par Maguy Bance, bénévole du tiers-lieu. « Je travaille pour un Esat [établissement et service d’aide par le travail]. Pour l’instant, je m’y rends en bus mais j’aimerais être indépendant et pouvoir y aller en voiture », confie-t-il, souriant. Sur le mur, un projecteur affiche des images et des vidéos. L’enseignante les décrit une par une. Chaque participant donne ensuite son avis sur les problématiques posées et les discussions s’engagent pour s’accorder sur les bonnes réponses. « L’idée est qu’ils voient leur progression respective. Il est essentiel de ne mettre aucune pression et de leur donner du temps. Certains parviennent à lire, d’autres non. Nous visualisons donc plusieurs fois une même situation. Si le format d’apprentissage reste aménagé, il est loin d’être académique. Et le collectif apporte beaucoup », détaille Maguy Bance.

« Je suis très timide, mais il y a une bonne ambiance ici et je fais des rencontres. En revanche, apprendre n’est pas évident, j’ai déjà oublié certains panneaux, avoue Cédric Arnaud, bénéficiaire, en complément de son emploi, d’un service d’accompagnement au temps libéré qui lui permet d’assister aux séances. D’habitude, je passe mon temps en extérieur car je suis agent d’entretien sur les parkings d’une grande marque de supermarchés. C’est difficile pour moi de rester assis longtemps. » Une remarque qui ne passe pas inaperçue chez l’enseignante, ancienne éducatrice spécialisée, qui le remercie d’avoir verbalisé son ressenti et indique au groupe que le rendez-vous de la semaine prochaine fera l’objet d’une pause.

Activités en binôme

Café & Co organise aussi des animations et des sorties ponctuelles pour ses adhérents : visites de lieux culturels, séjours adaptés… Mais les gestionnaires misent davantage sur les initiatives proposées par les jeunes. Un cahier circule dans les lieux, chacun étant libre d’y écrire ce qu’il souhaite. « Nous espérons que le planning va s’agrémenter par ce biais. Mais l’idée est de ne mettre personne en échec. Savoir coudre ou jouer au tarot et l’expliquer à d’autres s’avèrent différents. Nous contactons donc les adhérents qui ont un projet pour évaluer avec eux leurs besoins, le matériel nécessaire, le rythme qui leur correspond et la façon dont ils souhaitent le présenter », explique Céline Brouquières, coordinatrice et secrétaire du bureau de Café & Co.

Déchargée à mi-temps par l’association ASEI, où elle exerce la fonction de conseillère en insertion professionnelle, son rôle consiste à accompagner les jeunes dans la gestion et l’appropriation des lieux. Ainsi effectue-t-elle des allers-retours entre la table sur laquelle sont confectionnés des badges et celle où s’organise l’enregistrement d’un podcast… « Les bénévoles exercent toutes leurs activités en binôme. Il est essentiel que personne ne se retrouve seul dans les locaux. Je crée des supports pour assurer l’autonomie de chacun », précise-t-elle. Un porte-vue consigne étape par étape, par écrit et illustration, l’ensemble des informations nécessaires pour gérer l’ensemble seul : caisse, machine à café, etc.

Si la régularité de l’investissement ou les horaires à respecter constituent parfois un obstacle, le développement hybride du projet, opposé à celui des institutions, permet de laisser du temps à l’adaptation. « Nous sommes garants de l’organisation transversale mais, ici, aucun lien hiérarchique n’est établi », rappelle Sébastien Calvo.

Espace d’expérimentation, Café &Co a vocation à être pleinement mené et animé par ses adhérents. Formateur en informatique et anciennement accompagné en institution, Romain Tesson devrait, à terme, prendre la présidence du dispositif. « Il était urgent de créer un endroit où l’on puisse chercher ensemble tout type de solutions », affirme-t-il. Un projet qui pourrait bien essaimer dans d’autres territoires.

Notes

(1) Le prénom a été modifié.

Auteur :  FLORA PEILLE