Autisme : enfin des experts auprès des tribunaux ?

Des enfants autistes retirés à leurs parents parce que la justice les croit maltraités ! Pour en finir avec la pression psychanalytique dans les tribunaux, le gouvernement dresse une liste d'experts de l'autisme. Une avancée historique ? Une avancée Historique ?

Des bleus, des mutilations, des cris, des difficultés à se concentrer, de l'agitation, des troubles alimentaires ou du sommeil... Des enfants victimes de maltraitance ou de carences éducatives, forcément ? Ces signes ne peuvent-ils pas être évocateurs d'autre chose, par exemple certains troubles, notamment autistiques ? Lorsque la justice s'en mêle, encore trop souvent dominée par des experts pro-psychanalyse, le verdict est parfois sans appel, cruel. Certains sont placés aux bons soins de l'ASE (Aide sociale à l'enfance), suspectés d'être maltraités par leurs parents, en particulier par leur maman ; l'affaire emblématique dans ce domaine est celle de Rachel à qui la justice a retiré ses trois enfants. Ces signalements abusifs par méconnaissance appartiendront-ils bientôt au passé ?  

Un annuaire d'experts

C'est « l'avancée de la décennie », prévient Jean-Marc Bonifay, président d'Autisme PACA, qui, à 53 ans, n'aurait jamais « cru voir cela en France ». Depuis plusieurs mois, un groupe de travail planchait sur cette question épineuse ; des actions concrètes ont émergé. Parmi elles, pour mettre fin à la confusion entre l'autisme, le TDAH ou les troubles DYS et les signes de maltraitance, les cellules de recueil des informations préoccupantes (CRIP) et les magistrats préalablement sensibilisés pourront désormais, en cas de suspicion de trouble ou de besoin de réévaluation d'un diagnostic, avoir recours aux médecins experts rassemblés dans un nouvel annuaire (en lien ci-dessous). Ce dernier, attendu depuis des mois, a été rendu public début avril 2022 par la Délégation interministérielle à l'autisme. En une douzaine de pages, il propose une liste de référents classés par trouble et par région, y compris en Outremer. Psychiatres, neurologues, pédiatres, ils exercent presque exclusivement au sein de groupes hospitaliers ou de CRA (Centre ressources autisme). « Dans le cadre de leur fonction, ces médecins appliquent pleinement les recommandations de bonnes pratiques de la haute autorité de santé (HAS) », précise le document. « Ils devront se prononcer en urgence, sous cinq jours, pour établir un diagnostic », assurait Adrien Taquet, secrétaire d'Etat à la Famille et à l'enfance, en 2021. Il est néanmoins précisé que « les professionnels de cet annuaire ne peuvent pas être contactés directement par les familles car leur expertise doit être indépendante ».

L'avancée de la décennie ?

Militant sur cette question depuis longtemps déjà, Jean-Marc Bonifay se réjouit de ce « message fort donné en France » et de cette « mesure concrète non onéreuse qui va permettre de ne plus faire souffrir des familles déjà bien 'exposées' aux difficultés en raison des TSA et TND de leurs enfants », avec de « vrais spécialistes de l'autisme reconnus de tous ». « Les usagers ont été écoutés » mais, selon lui, il reste encore à faire, notamment pour « les adultes qui, eux, dépendent toujours en grande partie de 'l'expertise' de la psychanalyse ». De son côté, Céline Poulet, secrétaire du Comité interministériel du handicap (CIH), tient à saluer, dans ce dossier, « l'engagement fort du ministère de la Justice » et des hauts fonctionnaires handicap dans chaque ministère, preuve, selon elle, que « l'interministérialité, ça fonctionne », même sur des sujets handicap parfois jugés « à la marge ».

Et pour les enfants réellement en danger ?

Marie Rabatel y met néanmoins un bémol. La présidente de l'AFFA (Association francophone de femmes autistes), membre de la Ciivise (Commission sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants), reconnaît une « avancée notable pour les familles » mais « pas pour tous les enfants autistes », interrogeant le cas de ceux réellement victimes de violences ? Elle explique que « fréquemment, les conséquences du trauma sont mises à tort sur le dos du handicap ». « Sans des professionnels formés à la fois à l'autisme et au psycho trauma, l'intérêt supérieur de l'enfant sera à nouveau bafoué, non pas à cause d'un placement abusif mais parce qu'il restera avec son bourreau », alerte-t-elle. Cette militante encourage à « rester attentif », insistant sur le fait que cette « mesure ne pourra être efficace que si une analyse précise de l'environnement est prise en compte, en plus des spécificités de l'enfant ». C'est d'ailleurs une des priorités de l'engagement 5 de la Stratégie nationale pour l'autisme au sein des troubles du neurodéveloppement : « Prendre en compte les TND dans l'évaluation de la situation d'un enfant en danger ou en risque de danger ».