"88 % des femmes autistes sont victimes de violences sexuelles"

Autonomie

Selon Anne Martinais, la participation des personnes concernées est essentielle pour améliorer les démarches de repérage et de prise en charge des violences sexuelles et sexistes. 

[INTERVIEW] Encore trop souvent passées sous silence, les violences sexistes et sexuelles concernent une grande majorité des femmes en situation de handicap. En Loire-Atlantique, le département a organisé une journée de sensibilisation à destination des acteurs du médico-social et du handicap le 26 juin 2025. L’enjeu : mieux repérer, prévenir et accompagner les situations. Le point avec Anne Martinais, responsable de l’Observatoire départemental des violences faites aux femmes.

ASH : Pourquoi manque-t-on encore de chiffres croisant handicap et violences faites aux femmes, et en quoi est-ce un problème majeur ?

Anne Martinais : En Loire-Atlantique comme au niveau national, il existe peu de données statistiques croisant genre et handicap. Les principaux chiffres disponibles portent soit sur le handicap, soit sur les violences faites aux femmes, sans jamais se recouper dans les statistiques officielles.

Selon les champs disciplinaires, on parle soit de « maltraitance » (du côté du handicap), soit de « violences sexistes et sexuelles » (du côté du genre), rendant la mutualisation des chiffres plus complexe. Quelques observatoires départementaux, comme celui de la Nouvelle-Aquitaine, ont bien mené des enquêtes sur ce sujet, mais ces initiatives restent rares, partielles et vite obsolètes.

Pourtant, les données existantes sont alarmantes. L’ONU estime qu’une personne sur dix dans le monde est en situation de handicap, ce qui en fait la première minorité mondiale. Parmi ces personnes, les femmes sont particulièrement exposées aux violences. Une enquête Ifop de 2022 pour Ladapt (association pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées) révèle que 16 % des femmes handicapées déclarent avoir été violées, contre 9 % des femmes en général.

Une étude réalisée par Marie Rabatel, présidente de l’Affa (Association francophone des femmes autistes), avec la psychiatre Muriel Salmona montre, pour sa part, que 88 % des femmes autistes sont victimes de violences sexuelles. Cette surexposition s’explique par une vulnérabilité accrue, notamment la difficulté à percevoir les sous-entendus, à dire non ou à repérer les signes d’abus.

Il est donc crucial de produire ces données pour mieux comprendre la réalité des violences, identifier les besoins spécifiques et adapter les réponses en conséquence.

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Quelles actions concrètes ont été mises en œuvre localement ?

Le département travaille depuis plusieurs années à renforcer l’articulation entre les acteurs du handicap et ceux de la lutte contre les violences. Par exemple, un dispositif de mise à l’abri d’urgence existe pour les personnes handicapées, notamment en cas d’hospitalisation de leur aidant. Il a été élargi pour permettre aussi l’accueil de femmes handicapées victimes de violences accompagnées par les associations.

Par ailleurs, cinq intervenantes sociales en commissariat et gendarmerie (ISCG), dépendant de nos services, apportent un soutien essentiel dans les cas de violences sexuelles. Elles peuvent accompagner les victimes, prennent le temps nécessaire pour écouter, expliquer et aider à déposer plainte.

Quels sont les apports des personnes concernées dans cette démarche ?

Leur participation est essentielle. Lors de la journée d’échanges organisée à Nantes le 26 juin 2025, plusieurs femmes en situation de handicap et militantes ont pris la parole. Parmi elles, Marie Rabatel, Noémie Nauleau, conseillère autonomie à l’agence régionale de santé des Pays de la Loire, Chantal Rialin, présidente de l’association Femmes pour le dire, femmes pour agir, ou encore une femme accompagnée d’un éducateur et d’une directrice d’établissement psychique.

Leurs témoignages ont permis d’aborder des réalités concrètes : la difficulté à dire non quand le handicap est présent depuis la naissance, la confusion entre symptômes du psycho-trauma et traits autistiques, ou encore la tendance des professionnels à faire à la place des personnes. Ces prises de parole, rares dans des espaces professionnels, sont précieuses pour apporter une réalité indispensable à la réflexion.

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Comment renforcer encore l’efficacité des actions ?

D’abord, en favorisant la formation croisée. Les professionnels du handicap n’ont pas toujours les outils pour repérer les violences, et ceux de la lutte contre les violences connaissent parfois mal les spécificités du handicap. Il existe pourtant de nombreux outils adaptés : le violentomètre, par exemple, a été décliné en version Falc (facile à lire et à comprendre) et en braille, notamment grâce à la Seine-Saint-Denis. L’Affa propose aussi des modules d’auto-formation sur son site.

Ensuite, en poursuivant le travail intersectoriel. Nous avons mis en place un groupe de travail réunissant la direction Autonomie du département de Loire-Atlantique, des établissements médico-sociaux et des associations. Ce groupe, actif depuis 2023, a rassemblé les partenaires autour d’objectifs concrets, notamment la gestion des situations où victime et agresseur vivent dans le même établissement. Le principe est de faire partir l’agresseur, mais ce n’est pas toujours simple dans un environnement aussi vulnérable.

Comme pour les enfants ou les personnes âgées, il est important de bien comprendre les mécanismes de la violence, notamment la stratégie de l’agresseur qui exploite une vulnérabilité. L’augmentation des signalements est donc une bonne nouvelle car elle traduit une évolution des mentalités. Mais il reste du chemin. Travailler ensemble, écouter les personnes concernées, croiser les approches, c’est ce qui nous permettra de construire des réponses plus justes.

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