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L’école 100 % inclusive, une bonne solution ?
Crédit photo Tim Douet
[C'EST EN DÉBAT] Les positions ne sont pas tranchées, mais les arguments valent d'être écoutés. Côté associatif, on veut sortir de la dichotomie entre les établissements spécialisés d’un côté et l’école de l’autre. Côté syndical, on défend la nécessité de structures spécialisées pour ceux dont les besoins ne peuvent être pleinement satisfaits en milieu ordinaire.
La Conférence nationale du handicap d’avril dernier avait lancé l’acte 2 de la transformation de l’école au bénéfice des élèves ayant des besoins spécifiques. Mais tous les enfants peuvent-ils être scolarisés ? Les « 50 000 solutions » d’Emmanuel Macron sont-elles suffisantes ? Les structures spécialisées doivent-elles être davantage associées au travail des enseignants ? Quelles que soient leurs divergences, associations et syndicats de l’action sociale regrettent un manque global de moyens et de formation.
« Il faut réfléchir aux conditions de partenariat entre l’Education nationale et le médico-social »
"Tout élève, quelle que soit sa situation, doit pouvoir bénéficier d’une scolarisation dans un cadre le plus inclusif possible. C’est le principe général, même s’il y aura toujours des situations très particulières, exigeant des réponses adaptées. Mais cette transformation de l’école nécessite un accompagnement et des moyens.
On doit absolument sortir de la dichotomie entre les établissements spécialisés d’un côté et l’école de l’autre, qui ne prendrait en compte qu’une partie des élèves. Il s’agit d’un sujet systémique qui nécessite de réunir tous les acteurs : l’Education nationale et le médico-social, mais également les familles et leurs savoirs expérientiels. Cette affaire-là est tripartite. Il faut de toute urgence réfléchir aux conditions de partenariat entre l’Education nationale et le secteur médico-social. Au passage, le décret sur les coopérations entre établissements scolaires et structures médico-sociales doit être révisé depuis cinq ans… On voit bien qu’il y a encore pas mal de réticences, notamment de la part du monde éducatif. En 2023, une enquête menée par l’Autonome de solidarité laïque, association créée par et pour les enseignants, soulignait les difficultés rencontrées face à des élèves « présentant des troubles du comportement » et imputait la dégradation du système scolaire à la présence des élèves en situation de handicap. Comment peut-on demander aux enseignants de transformer leur pratique professionnelle, si on ne les accompagne pas et si on ne les forme pas ?
Former les professionnels
Concernant l’acte 2 de l’école inclusive, on peut regretter que l’ambition reste un peu limitée. Presque rien n’est chiffré, pas même les formations croisées impliquant les professionnels de chaque secteur. On ne pourra pas se lancer dans une véritable transition inclusive sans une double formation, initiale et continue, de tous les professionnels. Si les pôles d’appui à la scolarité (PAS), tels qu’ils avaient été évoqués lors de la Conférence nationale du handicap, représentaient une piste intéressante permettant de renforcer la responsabilité de l’école, nous ne sommes pas d’accord avec la manière dont ils ont été traduits dans la loi de finances pour 2024. Nous avons découvert des dispositions qui n’avaient jamais été discutées, comme le fait de moduler la quotité horaire lorsqu’il y a une notification d’aide individuelle. Le Collectif handicaps en a demandé la réécriture. Mais au-delà de ces PAS, nous estimons que les 12 mesures de l’acte 2 sont toutes d’égale importance. Le numéro identifiant élève, par exemple, qui doit être mis en place pour la rentrée 2024, peut paraître un peu technocratique, mais il représente la garantie de ne pas oublier certains enfants. Quand on mène une politique publique, la moindre des choses est de disposer de l’intégralité des données permettant un pilotage effectif."
Emmanuel Guichardaz, Collectif handicaps, responsable des questions de scolarité à Trisomie 21 France.
« On désinstitutionnalise, sous prétexte qu’on serait discriminant »
"Nous ne sommes bien évidemment pas opposés à l’inclusion en tant que telle, mais nous défendons surtout les structures spécialisées. Toute personne en situation de handicap n’a pas forcément la capacité d’aller à l’école. L’acte 2 de l’école inclusive, annoncé par Emmanuel Macron, est quand même très inquiétant. Il prétend proposer des milliers de solutions, mais peut-on dire qu’on inclut parce qu’on met un élève une heure par semaine à l’école ? Certains jeunes vont se retrouver en grandes difficultés parce qu’ils sont à des années-lumière de ce cadre classique.
Prise en charge globale
L’inclusion pour tous, ça ne veut rien dire. Certains ne pourront jamais se passer d’un accompagnement 24 heures sur 24, et ce pour des raisons de soins ou d’étayage. On risque de perdre le sens de la loi de 2005 (pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées) qui prévoit une prise en charge individualisée en fonction des besoins de chacun. Plutôt que de raisonner en termes de « solutions », il faut des prises en charge globales au sein de structures médico-sociales.
Depuis des années, l’enseignement spécialisé ne cesse d’être fragilisé, notamment avec la diminution de la formation des enseignants qui interviennent, par exemple, dans les instituts médico-éducatifs. Aujourd’hui, ils sont formés en à peine trois semaines, alors qu’avant ils bénéficiaient d’un an et demi de formation complémentaire.
Autre sujet d’inquiétude, les pôles inclusifs d’accompagnement localisés (Pial) qui se transforment en pôles d’appui à la scolarité (PAS) : ce n’est plus la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) qui oriente les enfants et qui détermine leurs modalités d’accueil, sinon l’école. Un changement qui va peser sur les familles. Elles risquent d’être renvoyées à leur capacité ou non à prendre en charge leurs enfants en situation de handicap. Comment feront celles qui n’ont pas les moyens ?
Même logique que les Esat
Notre manifestation nationale du 25 janvier avait pour mots d’ordre : le retrait de l’acte 2 et des moyens pour le secteur médico-social. L’inclusion pour tous, comme unique réponse, n’est pas une solution. C’est la même logique que la volonté de sortir les travailleurs des Esat (établissements et services d’aide par le travail) pour les mettre sur le marché commun de l’emploi. On désinstitutionnalise, sous prétexte qu’on serait discriminant. On cherche surtout à faire des économies sur le dos des personnes en situation de handicap."
Pascal Corbex, secrétaire général de la Fédération nationale de l'action sociale-Force ouvrière (FNAS FO)