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Aide à domicile : des compétences à reconnaître
Crédit photo DR - TRIBUNE - Une des voies de sortie de la pénurie de main-d’œuvre dans le secteur de l’aide à domicile est de reconnaître à leur juste valeur les pratiques et les savoir-faire des salariées qui interviennent au quotidien auprès des personnes âgées et dépendantes. C’est ce que défend Lucie Chevalier, doctorante en sociologie.
« Accepteriez-vous d’être opéré par un médecin qui ne posséderait pas de diplôme ? Ou bien d’être conseillé lors d’un procès par un avocat qui ne présenterait aucune qualification ? Sans avoir fait de sondage auprès de la population générale, on peut sans trop s’avancer s’attendre à une réponse négative. Pourtant, confier nos proches âgés ou handicapés à des aides à domicile non diplômées ne paraît pas revêtir les mêmes craintes.
Evidemment, il n’est pas question ici de comparer l’expertise d’un médecin et celle des professionnelles du “lien”. Néanmoins, il s’agit de reconnaître que ces dernières jouent un rôle essentiel, parfois vital, auprès des bénéficiaires dépendants dont elles s’occupent. Car c’est une petite musique qui se fait entendre depuis quelques temps, celle de l’idée selon laquelle il serait possible d’exercer ces métiers en étant simplement “de bonne volonté”, “bienveillant” et “ouvert d’esprit”. Ce refrain n’est pas propre au secteur de l’aide à domicile : des processus de recrutement orientés vers le jeu mettant en compétition les postulants, aux discours invitant à se présenter sans CV, la critique des diplômes n’est pas nouvelle. Mais la pénurie actuelle de main-d’œuvre dans le secteur médico-social et la naturalisation des compétences féminines dans les métiers de l’aide à domicile renforcent ces discours.
Si des critiques légitimes peuvent être formulées vis-à-vis de la course au diplôme, ou de l’inadéquation de ces derniers au monde du travail, rappelons que la qualification a aussi été conçue comme une façon de protéger les salariés et leurs rémunérations. Posséder un diplôme, c’est en théorie avoir acquis des compétences, des savoirs, avoir éventuellement réalisé des périodes d’immersion, avoir rencontré des professionnels et avoir réfléchi sur un métier. C’est une garantie pour l’employeur de recruter un individu formé, et pour les personnes qui bénéficieront de ses services, de recevoir une prestation de qualité. C’est aussi une protection pour le salarié que de faire valoir, selon une grille salariale, un certain niveau de salaire, et de sortir d’une rémunération individualisante (quoi de plus difficile que de négocier seul en face à face son salaire, quand les instances représentatives du personnel sont justement pensées pour le faire pour le collectif ?).
« L’avenant 43 » ou l’individualisation du salaire
A cette idée supplantant le diplôme par les compétences s’ajoute une reconnaissance de ces dernières dans les textes législatifs. Ainsi, l’avenant 43 à la convention collective de la branche associative de l’aide à domicile a procédé, en 2021[1], à une revalorisation partielle des salaires et a mis en place une nouvelle classification des emplois. De par sa structure, cet avenant met davantage l’accent sur les compétences et non plus sur le diplôme, en supprimant le lien automatique entre diplôme et rémunération. Si des efforts importants (bien que toujours insuffisants) ont porté sur la formation et l’acquisition de diplômes pour les professionnelles, dorénavant, la question de la formation, toujours reconnue comme essentielle, est coiffée par la volonté de valoriser et de reconnaître les différents éléments de compétences. Ainsi, un classement du salarié est opéré selon :
• la filière suivie (“intervention” et “support”) ;
• la catégorie socio-professionnelle retenue (“employé”, “technicien”, “cadre”) ;
• le degré (1 ou 2 selon l’emploi occupé) ;
• et enfin l’échelon (le niveau de maîtrise de l’emploi : “en phase d’appropriation”, “maîtrise des principales missions” et “parfaite maîtrise des missions”).
Cet avenant s’intéresse aussi à la question du salaire, à travers les éléments complémentaires à la rémunération : astreintes, travail de nuit, accompagnement de stagiaires, accompagnement de cas difficiles… en supposant que ces différentes modalités relèveraient de choix personnels. Autant d’éléments liés au salaire qui peuvent varier d’une professionnelle à une autre, alors même que ces personnes peuvent posséder un même diplôme et une ancienneté similaire.
A ces nouveaux principes s’ajoute enfin un pouvoir croissant donné aux employeurs : afin de positionner chaque salariée dans les différentes grilles et échelons, un entretien d’évaluation doit avoir lieu avec l’encadrement. Cet entretien d’évaluation est censé permettre d’organiser les progressions professionnelles. Ce positionnement des individus – duquel vont découler les rémunérations et donc les coûts pour la structure et les financeurs – reste bien sûr à l’appréciation de la direction. Cette modalité risque de fragiliser les intéressées, souvent faiblement syndiquées dans le secteur de l’aide à domicile, vis-à-vis de leur rémunération. Ce système peut aussi conduire, afin d’espérer augmenter et obtenir une meilleure rémunération, à accepter des tâches supplémentaires, à travailler les soirs et week-ends, mais aussi à faire la preuve que l’on maîtrise des concepts complexes. Ce mécanisme renvoie à la performance et à l’individualisation, là où c’est le collectif qui devrait primer dans ce secteur déjà marqué par l’isolement des professionnelles.
Véritables professionnelles du vieillissement
En effet, une des voies de sortie de la crise du secteur serait justement l’inverse : faire des aides à domicile de vraies professionnelles reconnues comme telles par leur maîtrise de différents savoirs et savoir-faire. Alors que la question de la prévention des chutes est d’actualité, pourquoi ne pas s’appuyer sur leur technicité pour intervenir sur l’évaluation du domicile et son adaptation ? Ne peut-on pas envisager qu’elles interviennent sur la prévention de la dénutrition ? Sur le soutien aux aidants ? Ne savent-elles déjà pas repérer les signes avant-coureurs de telle ou telle pathologie, de tel syndrome de glissement… ? En (re)faisant d’elles les alliées des médecins traitants sur le terrain, comme il a été envisagé avec la création du Cafad (certificat d’aptitude aux fonctions d’aide à domicile) dans les années 2000, ce sont d’importantes problématiques qui pourraient trouver partiellement réponse. Et c’est à travers la formation certifiante, initiale et continue que doivent pouvoir s’acquérir ces nouvelles qualifications. L’enjeu n’est pas que symbolique : s’il porte sur l’image des professionnelles, il répond aussi aux questions de pénibilité du travail et de rémunération. En effet, la reconnaissance de ces missions supplémentaires (souvent réalisées spontanément par les aides à domicile) permettrait de compléter des temps de travail partiels (à travers des tâches moins pénibles physiquement) et de faire l’objet d’une rétribution financière.
Parce qu’elles détiendront un diplôme, des savoirs propres à leur activité et non détenus par d’autres, elles pourront exiger un regard différent de la société sur leur métier, et donc revendiquer des revalorisations salariales essentielles à l’attractivité de leur poste. Abandonner la professionnalisation et prendre la voie des compétences – d’autant plus lorsque ces dernières sont qualifiées de “féminines” (empathie, écoute, bienveillance…) – comporte le risque d’individualiser les situations de travail et de les fragiliser. Et, bien qu’on puisse le déplorer, ces compétences essentielles à la vie en société ne se monnaient pas sur le marché du travail. »
Notes
(1) Voir ASH n° 3227 du 1-10-21, p. 18.
Pour aller plus loin : debat.ash@info6tm.com
Aide et maintien à domicile
Auteur
LUCIE CHEVALIER