Fin de la trêve hivernale : 30000 ménages menacés d'expulsion locatives

La fin de la trêve hivernale qui prend effet aujourd'hui marque la reprise des expulsions locatives à partir du 1er juin. D'après le Collectif associations unies (Cau), 30 000 ménages risquent de se retrouver à la rue. Les professionnels sont sur le pied de guerre.

Alors  que a fin de la trêve hivernale a été repoussée au 31 mai et que l’ouverture de toutes les places d’hébergement d’urgence est maintenue jusqu’au 31 mars 2022 (voir notre article), les acteurs sociaux s'inquiètent du risque d’expulsions locatives à partir du 1er juin. D’après les estimations du Collectif associations unies (Cau) qui corroborent celles du rapport dit « Démoulin », plus de 30 000 ménages sont concernés.

« La crise sanitaire, économique et sociale a appauvri et aggravé la situation de nombreux locataires en difficulté pour payer leur loyer et leurs charges. La généralisation du télétravail et la baisse d’activité de nombreux services publics ont par ailleurs réduit les possibilités de faire valoir des demandes d’aides ou de recours impactant les possibilités d’accès et de maintien dans le logement d’un nombre important de ménages », rappellent les 39 associations du Collectif.

Des intentions mais pas d'obligations

Sur cette question, une circulaire interministérielle -signée le 26 avril par les ministres Emmanuelle Wargon, chargée du Logement et Marlène Schiappa, chargée de la Citoyenneté- a été transmise aux préfets de régions et de départements. Elle vise à préparer les territoires à la fin de la période de trêve et définit les étapes d’une transition de l’état d’urgence vers une reprise maîtrisée de l’application de la procédure administrative d’expulsion. « L’enjeu prioritaire demeure celui d’éviter la précarisation des locataires comme celle de leurs bailleurs », indique le document.

Il est ainsi demandé aux représentants de l’Etat de proposer le relogement effectif ou, à défaut, l’hébergement ou l’accompagnement adapté à tout occupant dont l’expulsion a été ordonnée judiciairement avec le concours de la force publique.

« C’est en totale inadéquation avec nos attentes. L’an dernier, alors qu’une instruction plus stricte visait à ne pas expulser sans relogement, dans certains territoires, les circulaires ont été insuffisamment appliquées. Selon les régions, le pourcentage de décisions de justice menant à des expulsions est très disparate. C’est une question politique », pointe Marie Rothhahn, chargée de mission accès aux droits pour la Fondation Abbé Pierre.

Des professionnels très vigilants

Côté financement, selon le collectif, les deux « filets de sécurité » prévus par le Gouvernement, à savoir le fonds de 30 millions d’euros d’aide aux impayés locatifs et les 20 millions d’euros du Fonds de solidarité pour le logement (FSL) sont loin d’être suffisants pour répondre à l’ensemble des besoins identifiés.

Sur le terrain, les acteurs se préparent. « Nous sommes inquiets et la tension est forte, que ce soit en interne ou avec les partenaires avec qui nous collaborons. Nous savons qu’il va y avoir un report des expulsions qui n’ont pas abouti l’an dernier. Nous allons être très vigilants car les possibilités de relogement ou d’hébergement sont très tendues en Ile-de-France. Nous réactivons donc notre réseau avec les sous-préfectures », indique Séverine Marsaleix-Reignier, directrice de l’Agence départementale d’information sur le logement (Adil) de Seine-Saint-Denis.

Davantage de difficultés dans le parc social

Les ménages les plus en difficulté sont plutôt ceux dont la fragilité financière était déjà présente avant la crise. Selon la Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (Dihal), les dernières tendances issues de l’Observatoire des impayés locatifs font état d’une diminution du niveau global d’impayés de loyers depuis janvier dans le parc privé. En revanche, dans le parc social, une augmentation de 3 % des retards de paiement est recensée dans une majorité d’organismes.

« De nouvelles demandes de recours au FSL issues de personnes qui subissent des baisses de ressources en lien avec la crise sanitaire sont enregistrées : intérimaires, travailleurs saisonniers, bénéficiaires du chômage partiel, auto-entrepreneurs, », note la Dihal.

Même constat du côté des bailleurs sociaux sur lesquels repose l’accompagnement des ménages. « Nous avons fait le choix de créer une structure interne d’accompagnement social composée de trois conseillères sociales et familiales. C’est très efficace car nous ne dépendons de personne. Nous avons les capacités de mettre un plan d’apurement de dette très en amont, au premier ou second mois de retard de paiement. Aujourd’hui, nous recensons seulement six décisions d’expulsion chez nos locataires », explique Josette Deydier, directrice adjointe de la mission locative de Marseille Habitat. Autre moyen de sécurisation du parc social : la dette est minimisée car les bailleurs perçoivent l’Aide personnalisée au logement (APL) en lieu et place des locataires. 

Les impayés ne sont pas le seul problème

L’anticipation va aussi pour Paris Habitat. « Prévention, mise en place de dossiers FSL, échelonnage… L’accompagnement des locataires doit être très adapté mais il ne s’arrête pas aux seules actions sur les paiements. Le lien avec les partenaires pour prendre en charge la situation globale des personnes est également fondamental. Par ailleurs, si l’objectif est qu’il n’y ait pas de remise à la rue, ces initiatives s’accompagnement d’une « tolérance 0 » pour les troubles de jouissance », indique le bailleur.

Parmi les autres leviers : la mise en place d’équipes mobiles de prévention des expulsions dont le financement est prévu pour deux ans et acté par le Plan pauvreté. Actuellement déployées dans 22 départements, elles interviennent auprès des ménages pour leur expliciter les décisions préfectorales ou pour identifier les problématiques autres que celles relatives au paiement du loyer. 

20 000 personnes en lieux de vie informels

Parallèlement aux risques d’expulsion locative, la fin de la trêve hivernale fait aussi peser un risque d’expulsion sur de nombreux lieux de vie informels. Selon le Cau, en France, 20 000 personnes vivent aujourd’hui en bidonvilles ou en squats.

« L’an dernier, en dehors des zones du Calaisis et de Grande-Synthe, 65 % des expulsions ont eu lieu de mi-juillet à fin octobre. Il n’y a pas de raison pour que les choses se passent différemment en 2021. Des expulsions de plusieurs centaines de personnes sont d’ailleurs déjà prévues dans différentes villes », indique Anthony Ikni, délégué général du collectif national Droits de l’Homme Romeurope.

Pour ce public, les craintes des associations se portent principalement sur l’arrêt de l’accompagnement sanitaire mis en place et sur la fin de scolarité des enfants. « Aucune instruction ministérielle n’a été prise quant à leur sort », dénonce le Collectif.

Auteur

FLORA PEILLE