Vous êtes ici
René Moullec: "La véritable injustice est que les personnes les plus dépendantes ne partent jamais en vacances"

Autonomie
"La formation à l'accompagnement des personnes en situation de handicap n’est pas une option, c’est une obligation : elle permet d’ajuster notre approche à chaque personne, selon ses capacités et ses difficultés", assure René Moullec.
Crédit photo DR
[INTERVIEW] Pourtant dopé par le succès populaire du film Un petit truc en plus, jamais les associations œuvrant pour l’accès aux vacances adaptées n’ont été aussi fragilisées. Dans un contexte de crise de la filière, le colloque national du Conseil national des loisirs et du tourisme adaptés (CNLTA) doit avoir lieu le 20 et 21 novembre 2025 à Paris. Le thème : les nouveaux enjeux du tourisme inclusif et du droit aux vacances pour tous. Etat des lieux avec René Moulec, président de l'organisation.
Disparitions d’organismes, incendies mortels, tensions réglementaires, déficit d’accompagnateurs, le président du CNLTA, René Moullec, fort de quarante ans d’engagement dans la filière des vacances adaptées, décrypte pour ASH les enjeux de « cette rencontre cruciale pour interroger un système qu’il faut sauver ».
ASH : Après la disparition d’une cinquantaine d’organismes entre 2020 et 2023, quel diagnostic posez-vous aujourd’hui ?
René Moullec : On est sur un secteur qui s’est vraiment fragilisé ces dernières années. Ça ne date pas d’hier : le Covid est passé par là, les coûts ont explosé, les hébergeurs sont plus frileux, les contrôles se sont durcis… et beaucoup d’organismes ont baissé les bras.
Nous, ça nous a obligés à réagir : on a produit un Livre blanc, et cet été, on a mené une grande campagne médiatique. On a ouvert nos séjours à la presse – nationale, régionale, spécialisée. Plus de 90 articles ont été réalisés, souvent directement sur les lieux de vacances. L’idée était simple : montrer la réalité, les personnes en vacances, leur plaisir d’aller au marché, à la plage, de faire une sortie bateau. Des vacances « pas comme les autres » parce qu’il faut de l’accompagnement, oui, mais des vacances quand même. Et surtout, indispensables.
Dans le même temps, il y a un grand mouvement de fond : le virage inclusif. Les établissements à l’année évoluent, s’ouvrent davantage à la cité. C’est positif, mais ça change la manière d’accompagner les personnes. Et ça rejaillit forcément sur les vacances adaptées.
Tout bouge en même temps, parfois trop vite, parfois sans cohérence. D’où l’urgence de réunir tous les acteurs qui ont chacun leur expertise, notamment l’Unapei (Union nationale des associations de parents d’enfants handicapés) l’UFCV (Union française des colonies de vacances), Patrick Drouet, Représentant de l’Union Nationale des Associations de Tourisme et de plein air (UNAT), Laurent Grabel, Représentant de l’association Nous Aussi, et la députée Renaissance Christine Le Nabour d’Ille-et-Vilaine, membre de la Commission des affaires sociales.
>>> A lire aussi : Ecole inclusive : l’arrivée du médico-social permettra-t-elle une accessibilité universelle ? (1/4)
Les incendies mortels ont profondément marqué l’opinion. Comment conjuguer l’exigence de sécurité renforcée et la nécessité de maintenir une offre de séjours suffisamment large et accessible ?
R. M. : On ne discute jamais la nécessité de renforcer la sécurité. Jamais. Mais il faut aussi regarder les effets réels : beaucoup d’hébergements ne sont plus accessibles parce qu’ils n’arrivent pas à fournir les attestations demandées. Résultat : on a moins de places, moins de choix, et donc moins de départs.
Il y a un équilibre à trouver. Aujourd’hui, certains inspecteurs appliquent la loi à la lettre, d’autres de manière plus souple. Ce n’est pas viable. Ce qu’on demande, c’est une harmonisation, une lecture claire, une réglementation qui protège sans fermer les portes. Sinon, on prive les personnes de leur droit aux vacances au nom de leur sécurité… ce qui est un paradoxe terrible.
>>> Pour compléter : Vacances adaptées organisées : obligations des organisateurs et dirigeants des lieux de séjour (4/4)
La circulaire d’octobre 2023 sur la sécurité incendie risque de réduire encore la capacité d’accueil. Comment la repenser ?
R. M. : On ne dit pas qu’il faut moins de sécurité, on dit qu’il faut une sécurité praticable. Aujourd’hui, certains hébergements n’ont tout simplement pas les moyens de fournir l’attestation exigée. Et des inspecteurs refusent des lieux qui, objectivement, sont sûrs.
Je le redis : chaque inspecteur à sa façon d’aborder les séjours. Il y a ceux qui coupent les cheveux en quatre, ceux qui sont tétanisés par la peur de « l’affaire de trop ». Mais nous, on ne peut plus fonctionner avec cette incertitude permanente. C’est ingérable pour les organismes. On a besoin d’un cadre national cohérent, partagé, et d’une administration qui comprenne notre réalité.
>>> A lire aussi: Ecole inclusive : La Chrysalide, alternative aux carences de la classe ordinaire (2/4)
Le secteur subit un turn-over massif, près de 40 % par an. Comment attirer les accompagnateurs ?
R. M. : C’est simple : sans accompagnateurs, les personnes ne partent pas. Et aujourd’hui, on manque d’accompagnateurs. Après le Covid, comme dans tout le tourisme saisonnier, beaucoup se sont éloignés. Les restaurants ferment deux jours par semaine faute de personnel ; nous, on doit parfois annuler des séjours.
On a tous diminué notre offre de 10 à 30 %. C’est énorme. Et quand on recrute difficilement, on a tendance à sélectionner des groupes plus autonomes, parce qu’on peut les accompagner avec deux encadrants, quand d’autres publics ont besoin d’un accompagnateur pour une personne. Résultat : les personnes les plus dépendantes partent moins. C’est ça, le vrai danger.
Pour inverser la tendance, il faut revaloriser ce travail. Reconnaissance, formation, rémunération. Et remettre du sens : accompagner des vacances adaptées, c’est un engagement utile, formateur, humain. Mais il faut que le système le soutienne.
>>> Sur le même thème : Instauration de nouvelles modalités d'encadrement des vacances adaptées organisées (2/4)
Certains hébergeurs refusent encore d’accueillir des groupes en situation de handicap. Comment lutter contre ces discriminations ?
R. M. : On le sait : il y a encore de la peur de l’inconnu. Ce n’est pas propre au handicap, c’est un phénomène plus large qui traverse la société. Les gens se disent : « Est-ce qu’on va savoir gérer ? Est-ce que ça ne va pas déranger les autres clients ? »
D’où le besoin d’éducation, de rencontres, de visibilité. Les vacances adaptées ont justement ce rôle : montrer que ces personnes vivent, sortent, participent, comme tout le monde. Quand des journalistes sont venus sur nos séjours, les personnes ont témoigné de leur plaisir d’être en vacances. Ça change l’image. Mais il faut que les pouvoirs publics rappellent fermement que refuser un groupe, ce n’est pas « un choix commercial », c’est de la discrimination. Point.
Parmi les 22 propositions que vous formulez, lesquelles vous semblent les plus urgentes ?
R. M. : Il y en a deux qui sont vitales. La première, c’est le droit effectif aux vacances. Aujourd’hui, les personnes handicapées payent leurs vacances et l’intégralité de l’accompagnement. Dans la vie quotidienne, cet accompagnement est pris en charge par la solidarité nationale – et c’est normal. Pourquoi, pendant les vacances, cela disparaît-il ? Ce n’est pas logique. On doit régler ça.
La deuxième urgence, c’est l’accompagnement : le recrutement, la formation, la valorisation. Sans accompagnateurs, il n’y a plus de départs, c’est aussi simple que ça.
Après, il y a d’autres points essentiels : une administration qui nous écoute, une harmonisation des inspections, un agrément plus stable… mais si on ne règle pas l’accès financier et l’encadrement, tout le reste s’effondre.
>>> A lire également : Emploi et handicap : la discrimination à l’embauche objectivée par une étude inédite
Christine Le Nabour, députée Renaissance, membre de la Commission des affaires sociales sera présente. Que souhaitez-vous dire aux pouvoirs publics ?
R. M. : Je veux leur dire que les vacances ne sont pas un luxe. Ce sont des moments de vie, d’ouverture, de respiration, de rencontre. Des personnes très autonomes n’ont pas besoin qu’on leur explique cela : dès qu’elles rentrent, elles attendent déjà le catalogue pour l’année suivante.
Pour d’autres, c’est plus difficile de se projeter. Justement : c’est là que les vacances jouent un rôle énorme. On veut qu’elles puissent continuer à partir, tout simplement.
On n’est pas en train de réclamer des privilèges. On demande juste que les personnes handicapées aient les mêmes droits que les autres : partir en vacances sans que cela devienne un parcours du combattant administratif, financier ou logistique. Et que les organismes puissent continuer à faire leur travail, sereinement.

