Ségur de la santé : les Ehpad face au sous-financement des revalorisations salariales

Photo d’illustration - Crédit photo Studio Hans Lucas via AFP

Mis en œuvre depuis un an, les accords du Ségur de la santé prévoient une augmentation des salaires pour les professionnels en Ehpad. Mais les acteurs du secteur du grand âge se plaignent de dotations insuffisantes pour financer les revalorisations promises.

A l’occasion des accords du Ségur de la santé, signés en juillet 2020, le gouvernement a revalorisé de 183 € net par mois les salaires des personnels des établissements de santé et des Ehpad (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes). Appliquées depuis un an (septembre 2020), ces hausses doivent être intégralement prises en charge par l’Etat. Or, selon les acteurs du grand âge, ce n’est pas le cas. « Nous n’avons pas obtenu la totalité des montants alloués», déplorait ainsi Florence Arnaiz-Maumé, déléguée générale du Synerpa (Syndicat national des établissements et résidences privés et services d'aide à domicile pour personnes âgées), lors des Assises nationales des Ehpad, le 7 septembre à Paris. Et de chiffrer ce « manque à gagner » entre « 10 et 30 % » du budget selon les établissements.

Elle n’est pas la seule à s’alarmer de la situation. Dans un communiqué, la Fehap (Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés solidaires) constate « une insuffisance de financement de près de 14 % dans ses structures »« Les enveloppes financières attribuées à notre secteur ne permettent pas de couvrir les engagements pris par le gouvernement », regrette encore la fédération. Cette situation s’explique par « un décalage de calculs », explique Rémi Locquet, directeur de l’Ehpad Saint-Thomas-de-Villeneuve, à Rennes. Au moment de la signature des accords, les financeurs se sont fondés sur les données disponibles : celles de 2019. « Pour ma structure, 55 ETP (équivalents temps plein) ont été pris en compte. Alors que j’en ai revalorisé 58. Ce qui veut dire que, si la situation n’évolue pas d’ici la fin de l’année, je vais en avoir pour près de 8 000 € de ma poche. »

Pertes de plusieurs dizaines de milliers d’euros

Autre explication à ce sous-financement : l’Etat n’a pas pris en compte l’impact de ces revalorisations sur les charges sociales. Les Ehpad bénéficient en effet de la réduction générale des cotisations patronales, qui consiste à baisser ces contributions patronales de l'employeur pour les salaires inférieurs à 1,6 Smic par an. Ce qui est le cas d’une grande majorité des salariés de ces établissements. « Or, avec les hausses de salaires liées au Ségur, mécaniquement, cette réduction devient moins importante. Celle-ci n’est pas prise en compte à l'heure actuelle, critique Rémi Locquet. Les conséquences sont importantes. Pour mon établissement, cela se chiffre à plus de 40 000 € »In fine, ce directeur d’Ehpad estime l’insuffisance de financement à 25 % de son budget, soit 50 000 €.

Cette situation pèse donc sur les finances des structures. « Si la situation n’évolue pas, en fin d’année, le trou sera de deux à trois millions d’euros pour la fondation », estime Dominique Monneron, directeur général de Partage et vie (qui compte une centaine d’établissements). Et d’ajouter : « Nous n’avons pas de difficulté majeure car nous avons une trésorerie qui permet de voir venir. Mais certains établissements, s'ils n'étaient pas intégrés à la Fondation, ne pourraient pas payer le Ségur jusqu'à la fin de l'année. »

Enquête nationale en cours

Ce sous-financement a aussi des conséquences sur le bon fonctionnement des structures. C’est autant d’argent en moins pour mettre en place des animations ou pour répondre à un besoin de personnel. « Nous estimons la perte à 35 000 euros pour l’année, soit l’équivalent salarial d’un poste d’aide-soignante », avance Stamena Ianeva, directrice de l’Ehpad Les Bougainvillées, à Cannes. « Cette revalorisation est une bonne chose, une étape importante pour rendre les métiers plus attractifs, mais elle doit être mise en œuvre correctement », poursuit-elle. « Pour le moment, tout le monde a réussi à s’en tirer parce que les sommes reçues ont permis de financer les premiers mois, explique Dominique Monneron. Mais l’instant de vérité aura lieu en novembre-décembre. Un certain nombre d'établissements ne pourront alors probablement pas assumer ce sous-financement et pourraient se déclarer en cessation de paiement. »

L’Etat semble toutefois avoir pris la mesure du problème. Une enquête nationale est en cours afin d’évaluer l’impact de la mise en œuvre du Ségur. Les directeurs d’établissements ont ainsi jusqu’au 15 septembre pour renvoyer les documents permettant des réajuster les effectifs et de connaître plus précisément le nombre de salariés concernés par la hausse des salaires. « Sur la base de cette enquête, des différentiels vont nécessairement apparaître entre le coût réel et les financements obtenus jusqu’à présent. L’Etat garantit de les couvrir, je ne suis donc pas plus inquiet que cela pour le moment », assure Rémi Locquet. Présente aux Assises nationales des Ehpad, Amélie Verdier, directrice générale de l’ARS (agence régionale de santé) Ile-de-France, a tenu à rassurer les acteurs du secteur : « Ces augmentations Ségur sont pérennes. Elles seront totalement compensées par l’Etat. » Aucune date de versement du reliquat n’a cependant encore été annoncée par les pouvoirs publics.

Auteur - MAXIME RICARD