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Réhabilitation psychosociale : "On ne peut pas continuer à avoir des lieux d'élite et rien ailleurs"

Autonomie
Emmanuelle Rémond est présidente de l'Unafam depuis juin 2024. Son mandat s'achèvera dans deux ans.
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[INTERVIEW] Repérage précoce, meilleure annonce du diagnostic, meilleures réponses aux situations de crise… La présidente de l’association d’entraide des familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques, Emmanuelle Rémond, appelle à une plus grande harmonisation des soins en psychiatrie. Elle estime que l’accompagnement social doit intervenir dès le parcours de soin.
L’Unafam a récemment publié un plaidoyer consacré aux soins en psychiatrie. Il insiste notamment sur la notion de rétablissement pour tous et l’effectivité des droits. Le détail avec Emmanuelle Rémond, présidente de l’association.
En quoi les soins en psychiatrie impliquent les travailleurs sociaux ?
Emmanuelle Rémond : Le rétablissement nécessite une prise en charge du parcours de vie de la personne malade dès le début du parcours de soin en psychiatrie. Il est essentiel d’être dans une vision pluriprofessionnelle qui intègre des travailleurs sociaux. Lorsqu’une personne sort de l’hôpital, elle doit avoir un projet de vie et pas seulement une feuille de route de soins. C’est l’objet de la réhabilitation psycho-sociale, qui part de la conviction qu’un malade psychique au long cours peut se rétablir et qu’il faut l’accompagner pour qu’il ait une vie, dans les limites imposées par la maladie, soit satisfaisante pour lui. On part de son point de vue et on croit en ses capacités citoyennes. L’offre de réhabilitation psycho-sociale est une offre de soin très précise en psychiatrie, à côté de la prise en charge médicamenteuse et de la prise en charge psychothérapeutique. Elle vise à permettre à la personne de mieux fonctionner avec les autres et donc de limiter l'impact du handicap dans sa vie.
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Une instruction ministérielle de 2019 impose deux plateformes de réhabilitation psychosociale par département. On en compte aujourd’hui 120. Toutes ne sont pas entièrement fonctionnelles et ne sont pas dotées de la même façon, même s’il y a une constante évolution. C’est cette grande hétérogénéité des soins en psychiatrie qui fonde notre prise de position parce que les mises en œuvre des textes sont très disparates. Nous demandons que ces centres de soin soient déployés partout sur le territoire national pour éviter d'énormes pertes de chances. On ne peut pas continuer à avoir des lieux d'élite et rien ailleurs. Ils doivent aussi former les soignants. Parce qu’ils ne peuvent, à eux seules, prendre en charge tout le monde. Ils doivent donc diffuser ces pratiques dans les services hospitaliers.
Quels sont les professionnels du social concernés par la réhabilitation psycho-sociale ?
E.R : Il doit y avoir des psychologues, des éducateurs, des travailleurs sociaux, des pairs aidants, des spécialistes de l'emploi. Ces plateformes dispensent des bilans neuropsychologiques pour mettre en œuvre des programmes de réentraînement des fonctions cognitives comme la mémoire, l'orientation, la capacité d'anticipation. Elles devraient toujours inclure des chargés d'insertion professionnelle, pour tout de suite envisager des formations partant des désirs et du projet de la personne. Les éducateurs peuvent intervenir à domicile pour aider à mieux gérer le quotidien et redonner de la motivation : aider à être en autonomie chez soi, à faire des courses, la vaisselle, à se laver, des actes élémentaires de la vie quotidienne qu’on peut rééduquer, en lien avec des infirmiers.
Pourquoi appelez-vous au développement de la pair-aidance ?
E.R : Elle est extrêmement précieuse. Une personne qui est jeune et qui est frappée par une maladie psychique se dit que ça va passer et ne fait pas confiance aux soins, ce qui produit des rechutes dommageables. Avoir en face d’elle quelqu'un qui est rétabli, c'est à dire, qui vit avec sa maladie, lui donne espoir et réassurance. Il va permettre à la personne de commencer à construire elle aussi son parcours de rétablissement. Aujourd’hui, il existe de vraies formations et des diplômes. Mais nous demandons une reconnaissance plus forte de ces missions et le développement dans tous les services hospitaliers en psychiatrie comme les structures de réhabilitation psycho-sociale. On doit y trouver des pairs-aidants pour faire de l’éducation thérapeutique, pas suffisamment délivrée aujourd’hui. Le pair-aidant est la meilleure personne pour la dispenser, en lien avec un infirmier en pratique avancée en psychiatrie. C’est vraiment le plus probant.
Qu’en est-il des assistants sociaux ?
E.R : On manque cruellement d'assistants sociaux dans le milieu hospitalier, pour ouvrir les droits, les faire connaître et aider à les demander. On parle des ressources, de la sécurité sociale, du droit à ce que quelqu’un vienne vous aider à votre domicile ou des demandes de reconnaissance du handicap. Beaucoup de postes sont vacants et le secteur public doit revaloriser ces fonctions. Notre conviction, c'est que si on organise mieux les soins, on leur redonnera de l'attractivité. Comme il y a de moins en moins d’assistants sociaux, nous recevons beaucoup de sollicitations dans nos délégations. Mais nous ne pourrons jamais couvrir tous les besoins.
Au-delà de l’organisation des soins en psychiatrie, que réclamez-vous en matière de droit pour consolider les parcours de vie des malades ?
E.R : Nous développons nos demandes sur les parcours de vie dans des plaidoyers spécifiques, sur les droits à l’emploi et à la formation par exemple. Les personnes avec un handicap sont les plus discriminées dans l'emploi. Ensuite, il y a un très gros problème d'accès au droit au logement. Beaucoup de personnes vivent dans leur famille, sans que cela soit désiré, parce qu'elles ne sont pas suffisamment bien accompagnées pour être en autonomie. Et puis il y le droit aux ressources. Encore faut-il pouvoir faire son dossier de reconnaissance du handicap, bénéficier de l’Allocation adulte handicapée (AAH) et ne pas avoir certains effets de seuil déplorables qui freinent la reprise du travail. Nous demandons qu’on puisse plus facilement cumuler AAH et travail salarié.
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