La Cour des comptes circonspecte sur la soutenabilité du virage domiciliaire

Autonomie

La Cour des comptes circonspecte sur la soutenabilité du virage domiciliaire

Le déficit de la branche autonomie pourrait se monter à 2,8 milliards d'euros dès 2028 selon les prévisions de la direction de la sécurité sociale.

Crédit photo AFP

Dans leur rapport sur l’état de la sécurité sociale en 2025, les magistrats s’inquiètent de l’impossibilité pour la cinquième branche de financer le virage domiciliaire à hauteur des besoins d’ici à 2030 et recommandent une réforme des ARS et de l’APA pour y faire face.

Parfois vendu comme la panacée de l’équilibre des comptes publics à l’heure du vieillissement de la population, le virage domiciliaire ne saurait suffire à éviter l’explosion des dépenses pour la 5e branche de la sécu à l’horizon 2030, du moins si sa trajectoire demeure en l’état. C’est en substance l’avertissement qu’adresse la Cour des comptes aux pouvoirs publics dans son rapport sur l’état de la sécurité sociale en 2025, dévoilé à la fin du mois de mai 2025.

La dépense pour les Ehpad passée de 25,5 à 33,3 milliards en cinq ans

Sur le papier, l’objectif affiché par les pouvoirs publics pour faire face au vieillissement de la population et à l’augmentation des situations de dépendance est ambitieux. Il s’agirait, à l’horizon 2030, de maintenir à domicile 85 % des personnes dépendantes pour réduire de 41 à 37 % la part de la prise en charge financière des établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux assurée par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), devenue, en 2020, le bras armé financier de la 5e branche de la sécurité sociale.

Le calcul, purement mathématique, paraît simple : alors que la part des dotations de la CNSA aux Ehpad a grimpé – de 25,5 milliards en 2020 à 33,3 milliards cinq ans plus tard –, auxquels il faut ajouter les 15,7 milliards dédiés aux ESMS spécialisés dans l’accueil du handicap – sous le double effet de l’inflation et des augmentations de salaires dans le cadre du Ségur de la santé, le maintien à domicile apparaît comme un moyen de contenir la dépense publique, à l’heure où 59 % de ces établissements présentaient un résultat comptable déficitaire en 2023.

Presque 3 milliards de déficit en 2028 

Sauf qu’à y regarder de plus près, l’équation ne fonctionne pas. Non seulement parce qu’à crédits constants – financés principalement par une fraction de la CSG – le déficit de la 5e branche ira croissant, tiré vers le bas à la fois par la part grandissante que prennent les dépenses au titre de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) et de la prestation compensatoire du handicap (PCH) dans le bilan de la CNSA (dont le montant, aujourd’hui de 6,8 milliards pourrait doubler en 2040), mais aussi par le coût des besoins associés au développement des services à domicile nécessaires à la réalisation de l’objectif.

« L’hypothèse de virage domiciliaire retenue suppose (…) de renforcer fortement les capacités et la structuration du secteur de l’aide et du soin à domicile. S’agissant du soin, 25 000 places (et autant d’équivalents temps plein [ETP]) seraient créées dans les services de soins infirmiers à domicile d’ici à 2030. L’objectif pour chaque place créée est d’accompagner jusqu’à sept personnes en perte d’autonomie à domicile », résument les magistrats de la rue Cambon.

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Coût prévisionnel de l’opération : 1,2 milliard d’euros. Auxquels il faudra ajouter 2,7 milliards supplémentaires pour financer les 50 000 places d’Ehpad et les 61 000 créations d’ETP nécessaires à l’accueil de personnes accueillies plus tardivement et dont le taux de dépendance et les dépenses associées grimperaient d’autant. 

Résultat : alors que la 5e branche devrait déjà présenter un résultat dans le rouge de 0,7 milliard cette année (à raison de 41,9 milliards de crédits alloués dans la LFSS 2025 pour 42,6 milliards de dépenses), ce déficit pourrait se monter à 2,8 milliards dès 2028 selon les prévisions de la direction de la sécurité sociale. Et augmenter sensiblement durant les années suivantes.

Un « panier socle » pour l'APA

Une situation difficilement soutenable sur le plan financier, que la Cour préconise d’anticiper avant l’échéance 2030 via une restructuration de la 5e branche.

  • Primo : en faisant de la CNSA la tête de réseau des agences régionales de santé (ARS) dans les territoires pour tout ce qui concerne l’autonomie – transformant ainsi celles-ci en « Agences régionales de santé et de l’autonomie » ou ARSA – pour aider les établissements « amenés à se médicaliser dans une logique d’efficience et de consolidation de l’offre » à accomplir leur transformation. Dans ce scénario, les départements deviendraient les interlocuteurs privilégiés de ces nouvelles agences et les « garants d’un maillage territorial de l’offre médico-sociale incluant les services d’aide à domicile ».
  • Secundo : en fragmentant l’APA entre les prestations relevant de la solidarité nationale, qui pourraient constituer un « panier socle » pris en charge par la CNSA – et calculé selon un barème national de la perte d’autonomie –, de celles demeurant à la charge des personnes moyennant une compensation par les départements.

A ces suggestions d’ordre financier, la Cour des comptes ajoute quelques recommandations pratiques. Comme l’établissement d’un système informatique national de remontée des données de terrain liées au vieillissement et la mise en place d’outils prospectifs visant à élaborer une cartographie du vieillissement post-2030 à partir de laquelle construire des prévisionnels budgétaires.

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