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Handicap : les pairs, ces indispensables relais

Autonomie
D'après l’enquête nationale menée par Elodie et Louis Dransart en 2023 auprès de 1 800 parents aidants : 92 % se disent épuisés, 85 % isolés et 76 % appauvris. Un parent sur deux a même arrêté de travailler.
Crédit photo Armandine Penna
[NUMERO 70 ANS] Partant de leur histoire parentale personnelle, Elodie et Louis Dransart ont conçu Les Bobos à la ferme, un lieu de répit pour les familles concernées par le handicap (Pas-de-Calais), de A à Z. Une échappée bucolique en milieu ordinaire où proches aidants et travailleurs sociaux se complètent.
En 2016, après l’annonce du diagnostic d’une maladie neurodégénérative orpheline pour notre fille Andréa, nous avons compris qu’aucune structure, aucun dispositif existant ne répondait vraiment à notre nouvelle réalité. Alors, nous avons créé ce qui n’existait pas : un lieu de répit en milieu ordinaire, Les Bobos à la ferme, qui allie accueil familial, soutien professionnel et valorisation des ressources de l’aidance. Né de l’intime, ce projet s’est vite transformé en une aventure collective.
Sortir de l’isolement
Aujourd’hui, ce tiers-lieu accueille des centaines de familles venues de toute la France. Il inspire un modèle que d’autres souhaitent essaimer, car il répond à des besoins largement documentés dans l’enquête nationale que nous avons menée en 2023 auprès de 1 800 parents aidants. Les résultats en sont alarmants : 92 % se disent épuisés, 85 % isolés, 76 % appauvris. Un parent sur deux a dû cesser son activité professionnelle à l’annonce du handicap. Et pourtant, ces familles restent souvent invisibles dans les politiques publiques.
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Or, dans notre enquête, une attente forte s’est exprimée : celle de pouvoir échanger entre pairs, de sortir de l’isolement, de partager l’expérience et les repères. Pour beaucoup, ces liens informels sont devenus les premiers leviers de soutien. C’est à partir de là qu’est née notre conviction : il fallait aller plus loin.
Nous défendons une autre vision : celle d’une parentalité différente. D’une expertise issue du vécu, mais pas inférieure. D’une citoyenneté pleine et entière. Les aidants ne sont pas uniquement en demande de soutien : ils ont du talent, des compétences, une intelligence du quotidien qu’il est urgent de reconnaître, de soutenir, de valoriser. Il faut en finir avec cette vision obsolète qui les considère comme des bénéficiaires passifs. Ils sont les acteurs principaux d’un système qui, sans eux, ne tiendrait pas.
Alliance féconde
C’est sur cette conviction que repose notre engagement pour la pair-aidance professionnelle. Nous avons choisi de salarier des aidants, formés et accompagnés, pour qu’ils puissent, à leur tour, soutenir d’autres aidants. Ce n’est pas une substitution aux professionnels, mais une alliance féconde entre savoirs expérientiels et expertises médico-sociales, une alliance réparatrice et stratégique. Dans un secteur du lien humain en crise, où les vocations s’effondrent et les moyens se réduisent, faire confiance aux aidants, c’est aussi faire preuve de lucidité. Il est temps d’unir nos forces : parents et professionnels côte à côte, non dans des logiques concurrentes mais dans une coconstruction sincère.
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Les pairs-aidants que nous accompagnons sont devenus des relais de confiance. Leur parole crée un espace de reconnaissance immédiate : « Moi aussi, j’ai connu ce vide après l’annonce, ce vertige de tout devoir endosser. » Ces parents offrent ce que le système ne peut produire : l’identification, la légitimité du vécu, la compréhension immédiate. Ils complètent l’action publique, parfois même la déclenchent. Nous le voyons chaque jour : quand un parent en errance administrative, en situation d’épuisement ou de solitude entre en lien avec un autre parent au vécu similaire, quelque chose bascule. La honte se fissure. Le courage revient. Le possible réapparaît.
En bout de chaîne
À ce jour, il n’existe toujours aucun statut, aucun financement pérenne, aucune politique nationale ambitieuse pour soutenir ces lieux de répit conçus par et pour les aidants. Pendant ce temps, le virage domiciliaire s’accélère, sans transfert de moyens. Les aidants prennent en charge ce que le médico-social et le sanitaire, à bout de souffle, ne peuvent plus assumer. En bout de chaîne, une fois encore, ce sont les familles qui portent. L’étude nationale Agirc-Arrco en témoigne : 74 % des aidants voient leur santé affectée, 66 % leur vie sociale dégradée, et un sur deux n’a recours à aucun service professionnel, même lorsque les soins deviennent lourds.
C’est un paradoxe cruel : jamais les besoins n’ont été aussi criants, et pourtant les réponses continuent de se construire dans une logique médico-sociale refermée sur elle-même, sans inclure suffisamment les personnes concernées. Nous menons cette bataille sans illusion sur le monde qui vient, mais avec lucidité sur une réalité incontournable : la population vieillit, les parcours de soins se délitent et la société a besoin des aidants. Plus que jamais.
Nécessité sociale
À la lumière de notre étude, 98 % des parents aidants estiment indispensable la création d’un service spécifique pour les soutenir. Et ce que nous expérimentons depuis sept ans le prouve : 95 % des familles accueillies déclarent que leur séjour a favorisé leur rétablissement psychologique, 70 % témoignent d’une amélioration de leur relation familiale et 90 % identifient notre dispositif comme un rempart contre l’isolement.
C’est donc possible. C’est même urgent. Il est temps de faire de la reconnaissance, du répit et de l’engagement des aidants une politique centrale. Non par compassion, mais par nécessité sociale, économique et humaine. Nous sommes prêts à bâtir ce nouveau chapitre. Mais pour qu’il advienne, il faudra de la confiance. En nous. Entre nous. Ce dont nous avons besoin, ce ne sont pas des hommages, mais des droits, des lieux, de la reconnaissance. Ce pacte, nous ne pourrons l’écrire seuls. Il suppose un choix collectif.
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