"Faut-il attendre qu’un enfant se mutile pour qu’on alloue ce crédit à un accompagnateur dans les transports ?"

Autonomie

Actuellement, il faut refaire une demande de financement tous les six mois pour bénéficier d'un accompagnement. La pétition demande une reconduction automatique des crédits tant que la prise en charge se poursuit.

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[INTERVIEW] Faire reconnaître le transport des enfants porteurs de handicaps complexes comme faisant partie intégrante de leur accompagnement : c’est ce que revendique une pétition lancée par des parents avec le soutien de l’association Envoludia et Paralysie cérébrale France. Elle a déjà recueilli plus de 9 000 signatures.

Armel Martin est le père d’un enfant en situation de handicap nécessitant d’être régulièrement véhiculé entre son domicile et la structure médico-sociale où il est suivi. Il témoigne des difficultés inhérentes au manque de professionnels accompagnateurs. Pierre-Yves Lavallade est délégué général de Paralysie cérébrale Franceet Michel Marciset directeur général d’Envoludia. Tous trois analysent le problème de financement de cet étayage indispensable faisant l’objet de cette pétition.

 

ASH : Quel est le point de départ de cette pétition, initiée pour pérenniser l’emploi d’accompagnateurs dans les transports spécialisés ?

Armel Martin : Notre enfant a une maladie génétique extrêmement rare, à l’origine d’un retard global. Il n’a pas de langage verbal et a trouvé une manière d’exprimer son inconfort : en se frappant. Au moment de la crise du Covid, notamment du fait du port systématique du masque, notre enfant est entré dans un état dépressif. Il a commencé à crier et se frapper de façon systématique au cours des trajets pour le conduire de notre domicile jusqu’à l’institut d’éducation spécialisée, au point que la conductrice, seule adulte présente dans le véhicule, devait s’arrêter plusieurs fois pour le calmer. Le voyage était un élément déclencheur qui empêchait notre fils de participer à la vie collective. Ce n’était plus tenable.

Quelle solution a été trouvée pour l’accompagnement de votre enfant ?

A. M. : La directrice de l’établissement a fait une demande en 2021 auprès de l’agence régionale de santé (ARS) pour que notre fils puisse être accompagné durant les trajets. Tout tient grâce à cela. Mais le financement doit être renouvelé tous les six mois via des crédits dits « non renouvelables » de l’ARS…

Comment se déroulent désormais les trajets ?

A. M. : Nous avons eu de la chance de trouver une accompagnatrice qui avait déjà travaillé avec des enfants handicapés, qui peut intervenir très rapidement et le calmer. Ce matin, par exemple, il n’était pas content. Avec l’accompagnatrice, nous avons pris le temps d’un câlin et de jouer. Si on réussit à intervenir à temps, il passe à autre chose. Sinon, il rentre dans une spirale autodestructrice.

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Tous les enfants transportés dans le même véhicule que notre fils ont besoin d’un accompagnement. L’accompagnatrice fait du bien à tout le monde. Faut-il attendre qu’un enfant se mutile ou fasse une crise grave pour qu’on alloue ce crédit de fond de tiroir ? On souhaite que le métier d’accompagnateur dans les transports soit pérennisé pour qu’il bénéficie à tous ceux qui en ont besoin.

Quel écho rencontre la situation décrite par Armel Martin au sein du réseau Paralysie cérébrale France ?

Pierre-Yves Lavallade : La pétition mise en ligne il y a quelques jours rencontre un écho très important [plus de 9 000 signataires, ndlr], on voit que cela répond à un vrai besoin. Cette initiative est vraiment partie des familles qui ont fait remonter un besoin pressant. Dans les grandes agglomérations en particulier, le temps de trajet est long et peut constituer une véritable épreuve pour des enfants et adolescents porteurs de handicaps complexes, de troubles autistiques et qui sont non verbaux. Le manque d’accompagnants dans les transports pose aussi des problèmes en termes de sécurité.

Du côté des structures d’accueil, quels problèmes pose l’actuel mode de financement ?

Michel Marciset : Actuellement, il faut refaire une demande de financement tous les six mois, ce qui est source d’une grande incertitude. C’est même humiliant pour les familles. Il faudrait que l’administration adapte ses procédures à la réalité, en reconduisant automatiquement les crédits tant que la prise en charge se poursuit. Ce type de financement via les crédits non renouvelables pose un autre problème : la campagne d’allocations à lieu à des dates bien précises et le temps de réponse est long. On peut faire une demande en juin et avoir la réponse à l’automne par exemple. Si un établissement a les moyens financiers d’avancer l’argent, il peut s’y risquer mais en raison du contexte actuel, ils sont plus frileux.

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Pour des personnes porteuses d’un handicap avec un retard cognitif important, on aura quasiment les mêmes dotations de transport que pour des personnes sans retard cognitif. Il faudrait que le gestionnaire ait le courage de faire des péréquations par profil de handicap, puisque dans le cas des troubles autistiques et des polyhandicaps, la problématique du transport est très différente. C’est d’ailleurs le projet de réforme Serafin-PH, dont on entend parler depuis des années, mais qui n’a toujours pas été mis en place…

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