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Ecole inclusive : La Chrysalide, alternative aux carences de la classe ordinaire (2/4)

Autonomie
A La Chrysalide, un binôme enseignante-accompagnante éducative et sociale explique à un élève des notions mathématiques par le biais de la manipulation.
Crédit photo Armandine Penna
[ENQUETE] Situé à Saint-Nazaire, cet établissement « hors contrat » accueille des jeunes de 11 à 25 ans porteurs de troubles sévères de l’apprentissage. Une réponse essentielle pour ces élèves que l’Éducation nationale n’a pas su accueillir et que les dispositifs médico-sociaux rejettent, faute de places.
Il a une envie : devenir cuisinier. Ou peut-être youtubeur, pour montrer ses recettes aux internautes. Quel que soit le chemin qu’il suivra, à 17 ans, Lucas aborde l’avenir avec confiance. Et c’est plutôt nouveau. Il y a encore deux ans, il arrivait au terme de son accueil dans une classe Ulis parisienne. Déçu – « c’était dur » – et dépourvu de solutions. Et pour cause : son niveau ne lui a pas permis d’envisager un certificat d’aptitude professionnelle (CAP) et la saturation des dispositifs l’a empêché de rejoindre un institut médico-éducatif (IME). C’est à La Chrysalide, à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), qu’il trouvera une alternative à la rentrée 2024. « Ici, c’est un rêve : j’apprends beaucoup de choses et je me suis fait de nouveaux potes. » Chaque lundi, Lucas délaisse sa classe pour donner un coup de main en cuisine. En parallèle, il suit un stage dans une enseigne de la restauration collective. Et, cerise sur le gâteau, précise-t-il dans un sourire, il est amoureux…
A l'initiative d'une mère
Inspirée des méthodes Montessori, La Chrysalide accueille 25 jeunes âgés de 11 à 25 ans. Certains ont des troubles du spectre autistique, d’autres sont porteurs de trisomie ou de maladies cognitives rares. Tous ont en commun de connaître des troubles sévères de l’apprentissage. Des élèves que, bien souvent, l’Éducation nationale ne parvenait pas à accompagner au-delà de l’école primaire. Et à qui l’on proposait une orientation dans un établissement médico-social pas toujours réalisable, faute de place.
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À l’origine du projet, en 2012, Patricia Abellard – une mère, comme souvent –, a créé l’école pour répondre aux besoins de son fils, orienté dans un institut médico-éducatif (IME) à l’entrée au collège. « Vu le faible nombre d’heures consacrées aux enseignements scolaires, je ne voyais pas ce que l’établissement allait pouvoir lui apporter, détaille celle qui, justement, était alors psychomotricienne… en IME. Je voulais qu’il reste à l’école, pour qu’il conserve cette ouverture au monde, dans un environnement le plus commun possible, et non dans un entre-soi. »
Job coachs
À La Chrysalide, l’accent est mis tout autant sur les savoirs (lire, écrire, compter) que sur les savoir-être et les savoir-faire. Avec l’objectif de rendre les élèves le plus autonomes possible. Ici, tout respire le calme et la sérénité. Le personnel, d’abord, qui chuchote pour respecter l’hypersensibilité au bruit de certains élèves. L’environnement, ensuite, avec ses tapis au sol et ses petites salles vitrées. « C’était important de recréer un lieu apaisant, propice aux apprentissages et sécurisant », explique Marine Tignon, directrice de l’établissement depuis que la fondatrice a passé la main à la rentrée 2025.
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Chaque matin, le groupe des 11-16 ans – la « Chrysalide School » – enfile les chaussons, comme à la maison. Et se regroupe autour de rituels : présentation de l’emploi du temps, responsabilités des uns et des autres… Dans la pièce attenante, deux enseignantes œuvrent sur le français et les maths, épaulées par deux stagiaires AES (accompagnants éducatifs et sociaux). Et chaque membre du quatuor s’adapte à des niveaux très disparates s’échelonnant de la maternelle au CE2.
Rien d'une école classique
Situé dans un ancien laboratoire médical, l’établissement n’a rien d’une école classique. Les cuisines jouxtent une salle de cours transformée en cantine à l’heure du repas. On y retrouve six élèves du groupe des plus de 16 ans – la « Chrysalide Avenir ». Accompagnés par Armelle Le Scouezec, référente insertion socio-professionnelle, ils travaillent les freins à l’emploi, les habiletés et les codes sociaux. « C’est un groupe très hétérogène, il faut s’adapter à chacun, expérimenter pour voir quel support fonctionne ou pas. » Individualiser les accompagnements est l’une des caractéristiques de l’établissement, qui compte près d’un professionnel pour deux élèves. « On propose un travail à la carte, dans l’objectif de permettre à chacun de grandir et de trouver sa place dans la société, explique Marine Tignon. On ne lâche pas les jeunes tant qu’ils n’ont pas trouvé de projet. »
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Pour accompagner les plus âgés vers l’emploi, deux « job coachs » interviennent. Dont Margaux Bréziat : « On utilise la méthode IPS [Individual Placement and Support], qui a de bons résultats avec les personnes en situation de handicap. Elle consiste à placer dans l’emploi avant d’accompagner et de former. On part toujours de la personne pour projeter ses envies, proposer des stages, en milieu ordinaire le plus souvent. » Et ça fonctionne. Les uns s’orientent vers la couture, les autres vers l’agriculture ou le spectacle. Enzo, lui, a décroché un contrat d’apprentissage dans un hôtel de luxe de La Baule (Loire-Atlantique). Chaque semaine, sa job coach vient s’assurer de sa montée en compétence, dans une relation tripartite avec l’employeur. Témoin de sa réussite, Marine Tignon souligne qu’il « a eu le sentiment d’avoir une vie normale et a pu dire à sa mère : “Je ne suis plus handicapé.” »
Une alternative
La Chrysalide noue des relations avec l’école ordinaire et défend coûte que coûte l’inclusion. « Nous sommes une alternative pour des élèves qui n’ont pas trouvé leur place ailleurs », explique Marine Tignon, qui fustige le « manque de moyens » de l’Éducation nationale. Comme elle, les parents sont nombreux à se frotter aux réalités de l’école inclusive. « Les profs ne sont pas formés aux besoins particuliers de nos enfants », constate Christelle Maguet. Voilà huit ans, cette mère a quitté la région parisienne, « dégoûtée » par l’Éducation nationale, pour scolariser son fils Matthys à La Chrysalide. « À l’époque, nous étions très inquiets pour son avenir. En arrivant à Saint-Nazaire, il a retrouvé le sourire, le sommeil, a progressé sur ses apprentissages. Aujourd’hui, à 18 ans, il a un projet et nous sommes soulagés. »
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Mais si La Chrysalide pourvoit aux besoins des élèves, se substituer à l’école ordinaire n’est une satisfaction pour personne. « Tout le monde devrait pouvoir accéder à l’école, renchérit Patricia Abellard, qui dit ne pas se réjouir d’avoir dû en créer une. Ma mission est de montrer que chaque personne a le droit d’avoir sa place dans la société, avec ses fragilités, ses richesses, son handicap. »
L’enjeu du financement
Établissement « hors contrat », La Chrysalide doit rivaliser d’ingéniosité pour boucler un budget de 380 000 €. Ses cinq sources de revenus : la taxe d’apprentissage, qu’il perçoit au titre de l’insertion professionnelle (47 % du budget), les frais de scolarité (30 %), son partenariat avec la cagnotte en ligne Tribee (11 %), les dons de fondations et de particuliers (9 %) et la participation à des manifestations comme le festival Les Escales (3 %). Un équilibre précaire, qui n’empêche pas les familles de devoir débourser 6 000 € à l’inscription. « On les accompagne dans la constitution des dossiers MDPH, et elles parviennent à obtenir des aides via la prestation compensatoire du handicap (PCH) ou des mesures exceptionnelles (10 000 € sur dix ans), explique Marine Tignon. La Chrysalide a fait ses preuves depuis sa création en 2012. Et elle a la chance d’être connue et reconnue par la MDPH de Loire-Atlantique. Ce qui n’est pas le cas partout. »
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La solution pour pérenniser ses financements ? Passer « sous contrat ». C’est le combat que mène la Fédération nationale des écoles adaptées (Fneca). Elle compte une douzaine de structures, dont La Chrysalide. « Je suis reçue presque chaque année au ministère. À chaque fois, on me répond que je ne fais pas le programme », explique sa présidente, Olivia Marchal, qui voit aussi dans un changement de statut la possibilité d’être contrôlé pour améliorer la qualité des établissements. À ce jour, seul l’établissement parisien Tournesol, dont elle est directrice, bénéficie de financements de l’État, et seulement pour une de ses trois classes. La raison en est plutôt cocasse. En 2013, l’administration a commis une erreur. Avec le temps, elle n’est pas revenue sur cette bizarrerie, considérant les missions d’intérêt général de l’établissement. Mais elle n’a jamais voulu financer les classes ouvertes par la suite. Une absurdité qui illustre assez bien les paradoxes de l’Éducation nationale, sommée de défendre l’école inclusive sans avoir vraiment les moyens de la mettre en place.
Une académie, un resto
Ce qui n’existe pas, Patricia Abellard, fondatrice de La Chrysalide, le crée. En 2022, elle a ouvert un restaurant inclusif, L’Envolée, qui compte parmi les meilleures tables de Saint-Nazaire. Quatre anciens élèves de l’école y ont trouvé un débouché. Ils sont logés à la Maison de l’Envolée, dans le même immeuble, lieu de vie accueillant des personnes en situation de handicap, des étudiants, des seniors ainsi qu’une famille ukrainienne, autour d’une maîtresse de maison et d’une animatrice à la vie sociale.
En octobre 2025, elle a lancé l’Académie, un centre de formation d’apprentis (CFA) des métiers de la restauration, qui prépare aux titres professionnels de serveur, commis de cuisine et agent polyvalent de restauration. « Quand on a ouvert L’Envolée, nous n’avons pas réussi à faire former nos jeunes, parce qu’aucun organisme ne les acceptait du fait de leur handicap trop important », justifie Patricia Abellard. Dédié à ceux ne pouvant suivre une formation classique, le CFA en a intégré quatre, et espère en accueillir 18 à la rentrée prochaine. « Ma mission est de montrer que chaque personne a le droit d’avoir sa place dans la société, avec ses fragilités, ses richesses, son handicap. »
>>> Retrouvez ici l'intégralité de l'enquête :
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