Aide à domicile : « La réforme du diplôme a diminué le niveau des professionnelles »

Crédit photo DR

Dans une récente interview aux ASH, Hugues Vidor, président de l’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire (Udes), dénonce « le manque d’anticipation et de vision » des pouvoirs publics envers le secteur de l’aide à domicile. Réagissant sur LinkedIn à cette publication, Sandra Litvine, formatrice socio-éducative et famille d’accueil pour adultes handicapés, estime que « la crise actuelle du secteur est aussi la conséquence de la réforme du diplôme AVS/AMP pour devenir AES ». Elle s’en explique.

ASH : Qu'a changé la réforme (voir encadré) dans les faits ?

Sandra Litvine : A l'époque, je formais à la fois des AMP (aides médico-psychologiques) et des AVS (auxiliaires de vie sociale). Même s’il y avait un tronc commun de formation, ce sont deux métiers différents. Le cursus des AVS était beaucoup plus tourné vers le domicile. Il y avait des mises en situation, de la pratique : apprendre à cuisiner, à coudre un bouton… C’était une formation spécifique « domicile ». Désormais, c'est un fourre-tout ! Il n'y a plus de spécificité. On constate d’ailleurs que les jeunes diplômés vont, de plus en plus, exercer en structures et non à domicile. Cette réforme de la formation est donc l’une des causes de la crise actuelle du secteur.

A lire aussi : « Les pouvoirs publics ne comprennent pas ce que vivent actuellement les structures du domicile »

Elle a diminué le niveau des aides à domicile. Alors que ces professionnelles n'ont pas suffisamment de temps, qu'elles sont mal rémunérées, que leurs frais kilométriques ne sont pas ou mal remboursés, elles sont désormais moins bien formées. J'ai le sentiment que, maintenant, tout le monde et n'importe qui peut travailler à domicile. Quand j'étais encore responsable de secteur, on m’avait fait savoir qu'une personne avec trois mois de chômage pouvait prétendre à un poste d'aide à domicile. Quel est le rapport ?!!

Aide à domicile est un métier hyper exigeant, le plus difficile du médico-social. Or les professionnelles sont insuffisamment formées. La réforme du diplôme n’a fait que les rabaisser. Ce nouveau diplôme dévalorise le domicile alors que c’est l’avenir. Les personnes âgées ne restent plus à l'hôpital, ne vont plus en Ehpad, veulent mourir chez elles. Il faut que l'on arrive à repenser cette formation dans le but de réellement opérer le virage domiciliaire.

Que préconisez-vous ?

L’enseignement doit compter plus d’heures de pratiques professionnelles, de mises en situation. Cela permettra aux futures aides à domicile d’être vraiment armées. Actuellement, une jeune diplômée n'a pas suffisamment de compétences, de connaissances du terrain. C'est limite dangereux de les laisser seules au domicile d'une personne âgée ou en situation de handicap.

Je l'ai constaté récemment sur le terrain. En tant que famille d’accueil, je m’occupe d’une dame en perte d’autonomie. Sa situation s’est récemment aggravée. Elle a donc fait appel à une auxiliaire de vie. Cette dernière a été diplômée au mois de juin et a monté sa structure en auto-entreprise en septembre, sans connaître le métier, sans expérience. Au quotidien, j'ai constaté qu'elle était complètement larguée. Il y a eu de nombreux manquements. Par exemple, elle a utilisé la carte bleue de la bénéficiaire pour faire les courses, ce qui est strictement interdit. Ou encore, elle n'utilise pas de cahier de transmission, aucun lien donc avec la famille.

Comment cette jeune femme peut-elle être aussi rapidement « sur le marché » avec autant de manquements ? C’est d’autant plus aberrant que ces lacunes lui portent préjudice, ainsi qu’à l’usager. Exercer au domicile est un vrai travail ! Il faut être armé moralement et physiquement. Les professionnelles doivent être aidées, soutenues, accompagnées et valorisées. 

Voyez-vous d’autres améliorations possibles ?

Une autre solution serait de sectoriser la formation entre le grand âge, le handicap, les adultes et les enfants par exemple. En effet, on n'accompagne pas de la même manière une personne âgée et un adulte handicapé, tout comme il existe différents types de handicap. On pourrait donc imaginer une formation spécifique pour chaque champ.

Mais surtout, il est nécessaire de former les étudiants à l'accompagnement des familles. Parfois, la personne âgée vit très bien sa perte d’autonomie mais ses proches ont plus de mal à appréhender la situation. Le travailleur social doit donc gérer l’usager dans son quotidien mais aussi les éventuels conflits familiaux, les familles surinvesties... Ajouter cette prise en charge dans la formation serait très utile.

______________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________

Rappel de la réforme

Depuis 2016, le diplôme d’accompagnant éducatif et social (DEAES) est le nouveau diplôme qui réforme et remplace les diplômes d’AMP et AVS.
La formation est organisée sur un socle commun et sur trois spécialités :

- Accompagnement de la vie à domicile (Ancien AVS),

- Accompagnement de la vie en structure collective (Ancien AMP),

- Accompagnement à l’éducation inclusive et à la vie ordinaire (Ancien Auxiliaire de Vie Scolaire).

La formation se déroule entre 12 et 24 mois selon les centres de formation, comprenant des cours théoriques et des stages pratiques.

______________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________

Biographie

Sandra Litvine travaille depuis l'âge de 16 ans auprès de personnes en situation de handicap (moteur, mental, polyhandicap, social). Elle a été responsable de secteurs auprès d'une association à domicile. Elle a formé durant 10 ans aux diplômes d'AES/AMP, DEME et effectué des accompagnements VAE. Aujourd'hui, elle est famille d'accueil pour adultes en situation de handicap et a créé une association qui favorise le lien social, l'intergénérationnel et l'inclusion.