Accessibilité numérique : un pas en arrière pour les personnes handicapées ?

Les collectivités locales, comme toutes les autres puissances publiques, doivent avoir des sites internet et applications mobiles accessible aux personnes handicapées. Mais le décret paru fin juillet leur laisse une échappatoire qui déplaît aux acteurs du secteur.

Le 24 juillet paraissait un décret « relatif à l’accessibilité aux personnes handicapées des services de communication au public en ligne ». Ce texte était attendu depuis un an.

En effet, il doit permettre d’appliquer la directive européenne relative à l’accessibilité des sites internet et des applications mobiles des organismes du secteur public, publiée et entrée en vigueur le 22 décembre 2016. Celle-ci était entrée dans le droit français par la loi pour la Liberté de choisir son avenir professionnel, paru en septembre 2018, à l’article 80.

Le décret d’application fixe les modalités d’accessibilité des sites internet et les applications des services publics et de délégataires d’une mission de service public pour les personnes handicapées. En d’autres termes, les pré-requis techniques minimum pour que les sites soient utilisables par toute personne, quel que soit son handicap.

Obligations légales

Dans son article premier, le décret rappelle l’obligation pour les organismes publics, les délégataires d’une mission de service public, ainsi que les entreprises dont le chiffre d’affaires est d’au moins 250 millions d’euros, de respecter la règlementation sur l’accessibilité pour les personnes en situation de handicap. Donc que ces sites et applications doivent être conformes au RGAA, le référentiel général d’accessibilité pour les administrations.

Pour rappel, en respect de la loi « Handicap » de février 2005, les collectivités territoriales devraient avoir rendu leurs sites web (intranet et extranet) accessibles depuis 2012…

Mais ce décret est loin de convaincre les experts du secteur.

« Charge disproportionnée »

D’une part, car l’article 3 du décret exclut de l’obligation d’accessibilité les contenus vidéo et audiovisuels. Alors que ces contenus sont de plus en plus répandus, « y compris sur les services en ligne de l’Etat » souligne le Conseil national du numérique (CNNum), cette exception peut interroger sur la volonté réelle de rendre les outils web accessibles à tous.

Mais surtout, le décret définit la notion de « charge disproportionnée » (article 4) qui permet à un acteur de ne pas mettre en conformité avec le RGAA ses sites et appli. Ainsi, pour échapper à la réglementation, il faudra prouver que :

- La taille, les ressources et la nature de l’organisme concerné ne permettent pas [au responsable du site] de l’assurer ;

- L’estimation des avantages attendus pour les personnes handicapées de la mise en accessibilité est trop faible au regard de l’estimation des coûts pour l’organisme concerné, compte tenu de la fréquence et de la durée d’utilisation du service, ainsi que de l’importance du service rendu.

Dans son avis – défavorable – sur le projet de décret, rendu en avril 2019, le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) regrette « que les critères de cette charge soient si étendus ».

Obligation de certificat, pas d’accessibilité

Des sanctions sont prévues pour les organismes qui ne respecteraient pas le décret. Mais pas parce que leurs sites et applications ne sont pas accessibles aux personnes handicapées, parce qu’ils ne feraient pas figurer une « déclaration de conformité » à la réglementation.

En clair, pour éviter l’amende – de 2000 à 20 000 euros – il suffit de dire sur son site qu’il n’est pas accessible. Le décret n’oblige en rien une collectivité à mettre en place des mesures pour rendre accessibles ses sites internet, comme c’est le cas pour les Etablissements recevant du public (ERP) avec les Agendas d’accessibilité programmée (Ad’Ap).

Risque de poursuites judiciaires ?

Cette limitation pourrait ouvrir la voie à des poursuites judiciaires. C’est en tout cas ce que craint le CNCPH, comme il l’écrit dans son avis :

"Au regard de l’article 2 de la convention relative aux droits des personnes handicapées des Nations unies (texte qui s’impose à l’administration en application de l’article 55 de la Constitution), il faudrait restreindre les aménagements raisonnables à un rapport entre les besoins et la situation de handicap, l’objectif étant de maintenir une égalité d’accès aux droits. La rédaction du décret fait donc courir un risque à la France d’incompatibilité avec ses engagements internationaux".

Sur le blog de Koena, société qui met le numérique au service de l’inclusion des personnes handicapées et qui propose d’aider à la mise en accessibilité des sites et des applications, on peut ainsi lire une demande à des dépôts de plainte :

"La loi doit être appliquée, et c’est au juge d’en décider. Nous espérons vivement que des mécanismes vont se mettre en place, au niveau associatif et citoyen, pour faciliter le dépôt de plaintes (et pas auprès du Défenseur des droits, mais auprès de vrais tribunaux, pour obtenir des effets concrets)".

Pour en savoir plus :