« Une personne déficiente visuelle sur deux en âge de travailler n’a pas d’emploi »

 

Crédit photo Fédération des aveugles de France

Une journée de sensibilisation au handicap visuel est organisée à l’Assemblée nationale, ce 15 novembre 2023, à l’initiative d’un collectif regroupant six associations et établissements publics. Rencontre avec son vice-président et président de la Fédération des aveugles de France, Bruno Gendron.

A quelques jours de la 27ème Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées (SEEPH), consacrée cette année à la transition numérique, Bruno Gendron - vice-président du collectif des déficients visuels et président de la Fédération des aveugles de France – détaille les problèmes d’accessibilité et le manque de formation des professionnels du médico-social.

ASH : Au-delà du symbole, qu’attendez-vous de cette journée auprès des élus ?

Bruno Gendron : Nous espérons une vraie sensibilisation de la représentation nationale à la déficience visuelle, mais aussi à l’idée que l’accès au numérique est une condition nécessaire à l’emploi des personnes concernées. La question de l’accessibilité des outils métier (intranet, internet) et de l’environnement de travail se conjugue à celles de la compensation du handicap visuel et du besoin de formation. Le braille, les terminaux vocaux ou l’agrandissement des caractères ne peuvent être efficaces, que si des professionnels compétents sont en mesure d’accompagner leurs utilisateurs. De nombreuses difficultés perdurent comme ces enseignants déficients visuels qui ne sont pas équipés pour accéder au logiciel Pronote. Aujourd’hui, les professeurs des écoles ou du secondaire non-voyants ne peuvent pas remplir les carnets de correspondance ou les bulletins de notes de leurs élèves de façon autonome. Cet exemple emblématique montre qu’il y a encore du chemin à faire.

Et en termes de compensation, quels sont les obstacles à lever ?

B.G. : Dans le milieu professionnel, au moins du point de vue financier, elle est en partie assurée par l’Agefiph (Association pour la gestion des fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées) et par le FIPHFP (Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la Fonction publique). Mais nous constatons qu’elle n’arrive pas dès l’embauche de la personne : il faut souvent du temps pour que le poste soit aménagé. Sans parler des membres de l’équipe numérique qui ne sont pas formées au dépannage de premier secours de ces outils incontournables.

Plus globalement, le handicap visuel est-il un facteur de discrimination récurrent dans le monde professionnel ?

B. G. : Une personne déficiente visuelle sur deux en âge de travailler n’a pas d’emploi. Alors que la moyenne des personnes en situation de handicap au chômage est de 14%. Il y a à la fois une méconnaissance de leurs potentialités et une forme d’autocensure. Si pour nous, la primauté doit rester l’inclusion dans le milieu ordinaire, certaines personnes ont besoin d’être dans des milieux plus sécures. Or, les entreprises adaptées sont aujourd’hui soumises à des règles de concurrence draconiennes, notamment avec d’autres acteurs de la sous-traitance. Si l’Etat n’apporte pas un réel appui financier, ces structures vont forcément devoir faire des choix et ne garder que les plus rentables. Par ailleurs, il faudrait davantage d’ESAT spécifiques, mais la tendance est à la généralisation. Là encore, les déficients visuels manquent d’outils adaptés, d’aménagements de postes ou de transcriptions de leurs documents professionnels.

Ce manque d’adaptation se ressent-il dès l’école ?

B. G. : Nous manquons d’enseignants spécialisés. Le gouvernement a beau jeu de dire qu’il faut des AESH en pagaille, ce n’est pas forcément ce que nous demandons. Apprendre le braille, se faire expliquer une carte de géographie ou la composition d’un muscle relève de l’enseignement spécialisé. Cela suppose de vraies compétences et les disparités territoriales en la matière sont importantes. En théorie, il y a des SAAAS (Service d’Aide à l’Acquisition de l’Autonomie et à la Scolarisation) partout en France… Ces dispositifs ne sont pourtant pas tous dotés de la même manière et le manque de professionnels y est criant. Censés représenter un tremplin vers l’école ordinaire, les SAAAS éprouvent des difficultés pour coopérer avec l’Education nationale. Il y a les travailleurs sociaux d’un côté et les enseignants de l’autre.

Quelles sont les problématiques liées au grand âge ?

B. G. : Nous sommes dans un contexte où il n’y a pas d’études nationales sur la déficience et où les politiques publiques sont élaborées sans chiffre. Pour pallier ce manque de données, un certain nombre d’associations ont mené l’étude Homère (étude nationale participative sur la déficience visuelle) avec un échantillon d’environ 2000 répondants. 90% des plus de 60 ans déclarent ne pas accéder aux services spécialisés pour les accompagner dans la déficience visuelle. Soit en raison d’une forme de déni, soit par méconnaissance des services existants. Les Ehpad sont encore trop généralistes, tout comme l’accompagnement à domicile. Les professionnels ont besoin d’être formés à la déficience visuelle parce que les problématiques ne sont pas les mêmes, selon qu’une personne est aveugle de naissance ou atteinte d’une dégénérescence maculaire liée à l’âge. Ils doivent alors se réhabituer à tout : organiser leur espace, faire le tri de leurs vêtements, des choses très concrètes qui, si elles ne sont pas prises en charge, génèrent de l’isolement.

De quels profils professionnels a-t-on le plus besoin ?

B. G. : Il faut d’une part former les aides à domicile et les intervenants sociaux généralistes, pour qu’ils sachent comment maintenir l’autonomie des personnes, mais d’autre part nous manquons de professionnels spécialisés à l’instar des instructeurs pour l’autonomie des déficients visuels. D’autant que le nombre de déficients visuels va augmenter de manière significative dans les prochaines années, en raison du vieillissement de la population.