« Aide à domicile en milieu rural, une profession d’avenir »

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Entre enquête de terrain et recueil de témoignages, le travail de recherche de Laura Durand pointe les spécificités de l’aide à domicile dans les territoires dits « périphériques » de deux départements français. Son objectif : démontrer que ce secteur a de l’avenir dans les lieux périurbains, les petites villes et les zones rurales enclavées.  

Géographe de formation, Laura Durand est actuellement en quatrième année de thèse au sein de l’université Gustave-Eiffel, à Champs-sur-Marne (Seine-et-Marne). Intitulée « La dimension spatiale de l’aide à domicile en milieu rural : comparaison de cas d’étude dans l’Orne et dans l’Aisne », sa thèse devrait être soutenue fin 2024.

Qu’est-ce qui pousse une géographe de la santé à étudier l’aide à domicile en milieu rural ?

Dans les années 1980, la géographie a réinvesti les questions du travail, avec, entre autres, la géographie industrielle et la géographie de l’emploi. Mais il n’y a finalement pas eu beaucoup de réflexion sur le travail en lui-même. Ce sujet est donc un peu nouveau et représente une forme de challenge à relever. Il m’intéresse particulièrement sur le plan personnel. J’ai toujours eu beaucoup d’empathie et d’admiration pour ces femmes professionnelles de l’aide à domicile qui travaillent auprès des personnes âgées. Beaucoup d’études sociologiques portent sur ce métier, mais elles le font la plupart du temps sans distinguer les zones urbaines et rurales. Pourtant, c’est différent, et c’est ce que je compte démontrer dans ma thèse. L’idée est de dresser un portrait de l’évolution de ce métier et d’en montrer les spécificités en milieu rural. Dans ces zones, le rapport aux autres diffère en raison de l’interconnaissance, de la proximité, les liens créés avec les personnes âgées ne sont pas les mêmes. Ce qui impacte la mission des aides à domicile.

Quel est votre postulat de départ ?

J’essaie de m’intéresser aux effets de contexte local : ce qu’il dit des territoires en termes de vieillissement de population, de besoins, d’accès à des services, de soins… Qu’est-ce que cela signifie de vieillir dans des territoires éloignés des grandes villes ? Et pour les salariées, quels sont leurs parcours professionnels ? Qu’est-ce qui les a amenées à exercer ce métier ? Mon postulat de départ est que l’aide à domicile en milieu rural est une profession d’avenir en raison du vieillissement de la population et d’une certaine désindustrialisation de ces territoires. Ma thèse entend montrer ce nouveau visage de l’emploi dans les campagnes.

Pourquoi avoir choisi les départements de l’Orne et de l’Aisne ?

En premier lieu, je me suis appuyée sur des indicateurs tels que la part de l’emploi des services à la personne dans l’emploi total ou le niveau de vieillissement de la population. Ensuite, je voulais que mon analyse se fasse avec une comparaison Est/Ouest, car les différences sont nombreuses entre ces deux zones géographiques. Par exemple, le recours aux services à la personne est beaucoup plus important dans l’ouest de la France. Je voulais aussi des territoires assez ruraux, éloignés des grandes villes, ce qui est le cas de l’Orne. Dernier critère : un fort taux de pauvreté, ce qui est le cas de la Thiérache, dans l’Aisne. J’avais envie de voir en quoi cela pouvait impacter ou non la structuration de l’aide, la mise en place des services, etc.

Comment avez-vous procédé concrètement ?

J’ai débuté au printemps 2021. J’ai été frapper à toutes les portes : celles des responsables départementaux, celles de l’ensemble des professions soignantes… J’ai aussi diffusé des questionnaires aux directions et associations locales afin d’entrer en contact avec les salariées. Je voulais recueillir un maximum de témoignages pour étayer ma thèse. Pendant deux semaines, j’ai pu suivre les professionnelles d’un service à domicile situé à Hirson (Aisne). Je souhaitais confronter mon ressenti avec la réalité du terrain, observer les relations qu’elles peuvent nouer avec les personnes âgées, les compétences mobilisées, les difficultés rencontrées. En entretien, le temps est plus court, nous n’avons pas forcément la possibilité d’aller au fond des choses. Là, je suis rentrée dans leur intimité. J’ai mieux compris les tenants et les aboutissants de leur métier. On ne se rend réellement compte de ce que représente la toilette d’une personne âgée que lorsqu’on la pratique. Mais mon analyse n’est pas celle des professionnelles. Quand nous débriefions après les interventions, j’ai constaté à quel point ce que j’avais évalué était en décalage avec ce qu’elles avaient réalisé. Puis il y a tout ce qu’elles ne disent pas, ce qui ne se voit pas, comme les relations avec les familles, les violences, les maltraitances…

Quelles sont vos premières conclusions ?

Premier constat : si l’aide à domicile se professionnalise, il existe encore une très grande diversité des métiers (auxiliaire de vie, aide-ménagère, accompagnant éducatif et social…) et de statuts (particuliers employeurs, associations, secteur privé…). Et si, d’une salariée à l’autre, la manière d’exercer diffère, il existe des socles communs : une certaine éthique, un fort investissement, de l’attachement aux personnes âgées. On peut parler de vocation. Mais ces professionnelles déplorent une forme d’injustice, à juste titre, car on leur en demande de plus en plus. Par exemple, elles doivent réaliser des soins qui ne relèvent pas de leur mission ni de leur formation initiale. Ce sentiment d’injustice est d’autant plus fort que le métier est précaire : beaucoup de temps partiel, de faibles rémunérations, des frais kilométriques importants et bien souvent non pris en compte… Et ce, alors qu’elles jouent un rôle essentiel, en particulier dans les territoires ruraux où, bien souvent, elles sont les seuls contacts quotidiens des usagers. Malgré tout, ce sont des travailleuses investies dans leur métier, qui cherchent à le défendre face au manque de reconnaissance des pouvoirs publics.

Travaillent-elles de la même manière dans l’Aisne et dans l’Orne ?

Plusieurs différences ressortent. L’ADMR(1) est ainsi beaucoup plus présente dans l’ouest de la France, pour des raisons historiques d’implantation du secteur associatif. A l’inverse, dans certaines petites communes du nord de l’Aisne, par choix politiques, des syndicats intercommunaux ont été créés. Par conséquent, les aides à domicile y ont aujourd’hui le statut de la fonction publique territoriale. Ce qui donne certains avantages : une plus grande valorisation de leurs qualifications, un meilleur plan de formation… De plus, les situations très problématiques d’isolement des personnes âgées dans l’Aisne font que l’investissement des professionnelles est peut-être encore plus important. En tout cas, j’ai pu noter de plus grands efforts à vouloir médicaliser les domiciles.

Si vous aviez des préconisations à établir, quelles seraient-elles ?

Je n’ai pas forcément la légitimité pour faire des recommandations. En revanche, en travaillant sur ce sujet de société très important, aux enjeux très forts, j’essaie d’être un minimum utile. Si je pouvais contribuer ne serait-ce qu’en donnant de la visibilité à ce métier, au rôle important de ces travailleuses en milieu rural, en montrant à quel point elles contribuent à aider les personnes âgées à rester chez elles, à maintenir du lien social, ce serait déjà formidable. En revanche, les professionnelles m’ont fait part de certaines urgences. Au-delà des revalorisations salariales, du manque de financement, d’une réforme de la tarification, elles estiment indispensable de repenser l’organisation de leur temps de travail, d’en finir avec les journées de 12-13 heures aux amplitudes horaires énormes. D’autant plus que, pour ces journées à rallonge, elles ne sont payées que lorsqu’elles sont au domicile. Autre problématique : les temps d’APA (allocation personnalisée d’autonomie) donnés ne sont pas toujours adaptés aux situations. Elles regrettent souvent qu’il n’y ait pas plus de professionnels, de cadres qui viennent sur le terrain pour se rendre compte concrètement de la perte d’autonomie des personnes. Parfois, elles ont trente minutes pour faire une toilette, la cuisine, coucher la personne, etc. Elles essaient de ne pas maltraiter les personnes, mais elles sont pressées par le temps.

Notes

(1) Réseau associatif national de service à la personne.


Géographie de la santé, kesako ?

Selon la publication Géoconfluences, « la géographie de la santé, à la croisée de la géographie des maladies et de la géographie des soins, a pour objet l’analyse sociale et spatiale de l’offre de soins et du recours aux soins, des inégalités de santé des populations, des déterminants de santé susceptibles de contribuer à la promotion ou à la dégradation de leur santé, de la distribution des maladies. Elle situe la pathologie et le malade dans son espace global en analysant le rôle et l’impact des faits de santé sur l’activité humaine. »